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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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drame : « Si la soif vous devient insupportable, faites comme ce fou et buvez une grande tasse ! »
    La grande tasse attendait d’autres victimes. Suite à un début d’épidémie de choléra, une dizaine de prisonniers, certains encore en vie, furent jetés à la mer.
     
    Après deux semaines de traversée, nous vîmes, un matin, se dessiner dans la brume les côtes de Majorque. Quelques heures plus tard, par un temps radieux, notre convoi jetait l’ancre au cap Cala Figuera, à l’ouest de la capitale, Palma. L’espoir d’être traités comme à Málaga allait vite s’évaporer.
    S’il devait rester dans ma mémoire un souvenir heureux de cette escale, ce serait le spectacle de cette ville baignée dans la lumière éblouissante de l’été, belle, longue et chaude comme une femme surprise dans son sommeil. Accoudé à la rambarde, Édith à mon côté, je ne pouvais m’arracher à cette vision d’enluminure d’où émergeaient, au-dessus des remparts, le vaisseau de la grande cathédrale dorée, le palais épiscopal, les riches demeures mauresques et les lointains massifs couverts de forêts luxuriantes.
    Mon regard fut attiré, vers l’ouest de la ville, par un curieux édifice d’une rotondité parfaite, situé au sommet d’une colline enrobée de bosquets de chênes verts : le castel de Bellver, édifié jadis par les Maures. Un de nos compatriotes, le capitaine François Billon, nous apprit que cette forteresse était le lieu de détention d’officiers supérieurs, dont le général de brigade Exelmans, naguère aide de camp de Joachim Murat, du général Privé et du vice-amiral de Rosily-Mesros.
    L’ordre de débarquement se fit attendre.
    Informée de notre arrivée et peu soucieuse d’héberger des pestiférés, la population avait envahi le débarcadère et manifestait à grands cris sa réprobation. La  Gaceta de   Tarragona  avait fait état de notre arrivée, si bien que tous les habitants, ou presque, nous attendaient, si l’on peut dire, avec des fourches.
    Au sein de la junte, c’était la panique. Nous n’étions pas attendus et moins encore souhaités. Qu’allait-on faire de ces milliers de malheureux ? Plusieurs solutions furent envisagées. La ville n’avait pas de lazaret ; le plus proche, celui de l’île voisine, Minorque, était occupé par des blessés espagnols envoyés par les autorités de Tarragone. On décida de répartir ce contingent sur les îles voisines : Ibiza et Cabrera.
    Il fut décidé que notre  Cornélie , frégate amirale, partirait pour cette dernière destination avec dans son coffre un million de réaux « pour les frais d’installation et d’alimentation ». Là au moins, cet îlot étant désert si l’on exceptait le gouverneur, une modeste garnison et un éleveur de chèvres, les risques de contagion seraient limités. C’était donc vers une sorte de lazaret à ciel ouvert que nous allions être acheminés.
     
    On a peine à imaginer le désarroi des « chats fourrés » de la junte majorquine face à une populace effervescente ! Des protestations véhémentes fusaient : Cadix s’était débarrassée de ces pestiférés par mesure de salubrité pour les confier aux autorités de Palma ! Et qui allait subvenir à leur subsistance et à leur entretien ? Rues et places étaient en ébullition. Des orateurs publics alimentaient la colère du peuple.  Palabras …  palabras …  palabras …
    Lorsque, par surcroît de malheur la population apprit qu’une escadre française, ayant quitté Toulon, pourrait se diriger sur Palma pour en faire le siège, un autre vent de panique souffla sur la ville. Les émeutes faillirent tourner à l’insurrection. La foule se pressait aux portes de l’ayuntamiento, livrait aux flammes des effigies de Napoléon ou assaillait à coups de pierre les boutiques des négociants français…
    La junte se résolut à consulter l’évêque sur le sort à réserver à ces milliers de malheureux. Réponse du grand prélat : qu’on les reconduise à Cadix ou qu’on les jette sur les côtes marocaines ! Les garder dans l’île serait exposer les habitants à une autre forme de pollution que le choléra : la propagation d’idées révolutionnaires et profanes !
    Sur ces entrefaites, les vigiles postés sur le mont Toro annoncèrent l’arrivée imminente d’une escadre d’une vingtaine de

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