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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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navires. On frisa l’émeute puis tout se calma à l’annonce qu’il s’agissait d’une flotte anglaise conduite par l’amiral Collingwood. Lorsque cet officier rendit une visite de politesse à la junte, il dut avoir l’impression de tomber au milieu d’une arène dont les protagonistes étaient prêts à en venir aux mains.
    Je passe sur les palabres qui, durant des semaines, gâtèrent les relations entre la junte, l’officier anglais et la population. Cela échappe à mon propos. Il suffit de savoir que c’est en cette occasion que la décision fut prise de nous diriger sur Cabrera, l’île des chèvres. Et bon débarras !
    La garnison serait maintenue, mais le dernier propriétaire invité à vider les lieux au plus vite, quitte à abandonner son troupeau. Construire un hôpital serait inutile : les malades trouveraient leur place au château qui dominait l’îlot, avec un chirurgien doté d’un  bo ti quin , une pharmacopée portable, pour des centaines de malades ! Il serait fait interdiction aux prisonniers d’avoir quelque rapport que ce soit, et réciproquement, avec les soldats et les pêcheurs qui opéraient autour de l’îlot…
    Cabrera ferait en quelque sorte office de dépôt principal : on allait également y transférer des prisonniers détenus à Mahon, capitale de l’île voisine, Minorque.
     
    Notre destin était scellé. Durant les quelques jours qui ont succédé à cette nouvelle affligeante, je me disais que des milliers de prisonniers ne pourraient survivre sur ces quelque vingt kilomètres carrés de broussaille et de pierraille, avec un ravitaillement « à l’espagnole », c’est-à-dire aléatoire, et qui plus est sans pouvoir espérer s’évader.
    J’ai passé des heures dans notre cambuse ou sur le pont à ruminer des idées noires. Mes compagnons, Édith, Murel et d’autres partageaient mes appréhensions, contrairement à quelques âmes naïves qui s’imaginaient que la liberté de mouvement dont elles allaient jouir les aiderait à survivre.
    Nous allions, me disais-je, être les victimes sacrificielles d’une dérive de l’Histoire. Qui donc, en France, avait conscience de notre sort ? Il avait été question d’un échange de prisonniers entre la France et l’Espagne. Pourquoi avait-il sombré ? L’Empereur se vengeait-il sur nous de la capitulation de Baylen ?
    Je nourrissais la funeste impression de n’être qu’un atome négligeable dans une masse en fusion, une unité sans conséquence, rien. Devrions-nous porter le deuil de nos familles, de nos amis, de nos biens, et de l’espoir de les retrouver un jour ?
    Je ne pouvais m’empêcher de grimacer à la vue de certains de nos compagnons de misère s’agenouillant devant le prêtre qui, de temps à autre, venait nous rendre visite à bord de la  Cornélie . Comment pouvaient-ils encore garder confiance en un Dieu qui les avait abandonnés ? Un jugement sommaire, soit, mais il me hantait.
    J’en suis persuadé aujourd’hui encore, et je rejoins ainsi les philosophes : Dieu n’est rien d’autre qu’une sorte de hochet, une entité inventée par des hommes pour asservir leurs semblables. Je me sens quant à moi pleinement adulte, apte à gouverner mes sentiments avec le soutien de la raison, seule boussole digne de confiance.
     
    Alors que nous allions appareiller, j’appris que des esprits généreux, étrangers à cette tourbe de populace majorquine, s’étaient élevés contre notre déportation, « coupable, coûteuse et insensée », sur l’île des chèvres, où la seule délivrance ne pourrait être que la mort. Ils trouvaient inhumain que l’on n’ait pas prévu de quoi nous abriter et de nous faire accompagner d’une force armée capable d’éviter les désordres. Les émois de ces bons apôtres ne furent qu’un feu de paille.
    Cabrera… Je tournais souvent mon regard vers cette boursouflure brumeuse émergeant de l’immensité marine, et je tentais de nous imaginer, Édith, Murel et moi, dans une condition de naufragés, sans parvenir à fixer mon esprit sur des images tangibles. Ce qui me rassurait quelque peu sur notre sort, c’était que cette terre de désolation présentait l’avantage d’un climat salubre et d’une illusion de liberté, à même de nous faire oublier la  Vie i lle-Cast i lle  et la  Cornélie .
    J’allais être déçu. Une

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