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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Vargas de questions : Napoléon était-il toujours en Espagne ? Les Français avaient-ils pris Cadix et Séville ? Où en était le siège de Saragosse ? Qui était roi ? Et tutti quanti… Il haussait les épaules et gardait le silence.
    Nous ne pouvions nous attendre à une réception comparable à celle de Málaga, mais de là à imaginer être jetés sur cette grève déserte avec juste pour nous accueillir trois ou quatre soudards débraillés et abrutis, portant leur fusil à l’épaule et parfaitement muets, qui nous observaient de loin, il y avait un pas. Pour comble, nous n’avions pas mangé depuis la veille au soir et rien ne laissait prévoir une distribution immédiate de vivres, le bâtiment de transport ayant du retard. Quant à notre hébergement, nul ne paraissait s’en soucier, alors que les nuits étaient fraîches.
    Les protestations montant de milliers de voix cessèrent lorsque les chaloupes nous apportant notre subsistance vinrent s’engraver sur le rivage. Il fallut l’autorité de quelques officiers, ceux des marins de la Garde notamment, pour éviter une ruée et un pillage.
    La distribution prit près d’une heure. Devant la modicité des denrées, les protestations reprirent de plus belle :
    — Remontons à bord !
    — Nous ne pouvons survivre dans ce désert !
    — Qu’on nous donne au moins un peu d’eau… Il doit bien y avoir un torrent dans cette montagne !
    Vargas était prudemment remonté à bord de la  Cornélie , ne laissant, pour éviter du grabuge, qu’une vingtaine de soldats commandés par un  teniente  blême de peur, une main sur la crosse de son pistolet, prêt à faire ouvrir le feu. S’il y avait un gouverneur sur cette île, il ne daigna pas paraître.
    La situation tourna au tragique lorsque des prisonniers tentèrent de rejoindre les navires à la nage et d’escalader les échelles de coupée. Des coups de feu venus du bord leur firent lâcher prise, et l’eau se teinta de rouge autour de leurs corps. Il y eut une nouvelle bordée de vociférations et des poings tendus. Des hommes ivres de fureur essayèrent de s’approcher des soldats pour les désarmer avant qu’ils ne remontent dans les chaloupes. Ils furent arrêtés par une salve ordonnée par le  teniente , qui tua quatre révoltés et en blessa quelques autres.
    Ce furent là les premiers morts de Cabrera. La liste allait être longue.
     
    Une heure plus tard, alors que nous nous étions sustentés de notre mieux et avions bu l’eau des barriques jetées à la mer et poussées vers la côte, un calme précaire était retombé sur la chiourme, le gouverneur, le señor Burguillos, alerté par l’émeute, ayant fait décréter par Vargas qu’il n’hésiterait pas à nous canonner si nous persistions à créer du trouble.
    Nous apprîmes par la suite qu’une altercation avait éclaté entre ces deux personnages, le gouverneur accusant le capitaine de ne pas l’avoir fait prévenir de ce débarquement massif de gens dont il ne savait que faire, Vargas arguant de son innocence, disant qu’il n’avait été alerté qu’au dernier moment de cette déportation et que d’ailleurs, prévenu ou pas, cela n’eût pas changé grand-chose.
    Une partie de leur dialogue m’a été rapportée par un de nos officiers, Méry, admis à assister à la rencontre :
    Burguillos  : Qu’est-ce que je vais leur donner à bouffer, quand ils auront achevé cette distribution ? À en juger par leur appétit, ils en ont pour deux jours tout au plus…
    Vargas  : D’autres livraisons auront lieu, une ou deux par semaine, à ce qu’on m’a dit.
    Burguillos  : Dieu t’entende, Vargas, mais je n’y crois guère. Et comment les abriter ? On y a songé ? Je ne vais pas les héberger au château, dans cette ruine !
    Vargas  : Vous trouverez dans le coffret que je vous ai remis un million de réaux. Il y a de quoi faire des constructions, à commencer par une maison commune et un hôpital…
    Burguillos  : Et qui va s’en charger ? Toi, tes marins et tes soldats, peut-être ?
    Vargas  : Allons ! La main-d’œuvre ne vous fera pas défaut… Moi, je ne suis pas le bon Dieu pour accomplir des miracles. Je ne fais que suivre les ordres…
    Méry passa sur leurs menaces réciproques, fort violentes, me dit-il, au point qu’ils avaient failli se lancer leur verre de malaga à la figure. Il conclut

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