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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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prit par le bras et m’entraîna sur la terrasse dominant le port pour me livrer une confidence. Il me fit asseoir sur le banc, près de lui, et me dit, d’un air embarrassé :
    — Tu as peut-être observé, entre Édith et moi, une certaine… intimité. Je crois le moment venu de t’informer de nos véritables rapports. Je te dois cette franchise, à toi, mon ami. Elle et moi sommes amants. Cela s’est fait sur la  Cornélie , alors que vous étiez séparés, parce que cela devait se faire. Nous sommes libres, elle et moi, si je compte pour facétie votre faux mariage. Je regretterais que nos rapports en souffrent au point de provoquer une rupture de nos relations amicales.
    Je faillis me lever et lui administrer un soufflet, mais je maîtrisai ce comportement ridicule et murmurai, les dents serrées :
    — Je devrais t’en vouloir, mais je ne le puis. Votre cohabitation, votre intimité devait aboutir à cette fin. Est-ce l’amour qui vous a poussés l’un vers l’autre, ou le simple désir ?
    — Le désir. Et toi, l’aimes-tu vraiment ?
    — J’en ai eu l’illusion, mais je n’éprouve plus pour elle qu’une attirance physique, tout comme toi. Je suis heureux que nous n’ayons pas fait un drame de cette confidence, mais qu’allons-nous faire ? Nous partager les faveurs de cette créature ?
    — Nous accommoder au mieux de cette situation insolite. Édith en prendra son parti. Je lui ai déjà posé la question. Elle a accepté le partage…
    Soudain Auguste se leva, me prit à bras-le-corps et, d’une voix pathétique, me remercia de ma sagesse.
    Pauvre Auguste… Il avait bien changé depuis notre départ de Cadix. Je l’avais connu grassouillet, son visage lisse d’adolescent attardé me rappelant celui de Marbot ; je retrouvais une sorte de mendigot maigre comme un fagot de genêt, livide, aux joues creuses, et s’efforçant de paraître en toute circonstance de bonne humeur. Il faut dire que je ne présentais pas un aspect beaucoup plus plaisant, dans ma défroque en lambeaux d’aide de camp amputée à Baylen de ses épaulettes et du plumet rouge de son shako !
     
    Nous nous attardions volontiers, le soir venu, après le souper, sur le banc de notre terrasse.
    Des feux s’allumaient sur les pentes de la montagne et dans les parages de l’amirauté, leurs légères fumées blanches dissipées dans le vent du soir. Au loin, la grande Baléare sombrait peu à peu dans la nuit, la dentelure de ses sommets encore baignée par un dernier soleil. Je songeais aux captifs de la forteresse de Bellver, enfermés dans les cellules de ce Léviathan de pierre. Nous étions libres d’aller et de venir à travers la montagne ; eux non.
    Parfois, des chants de prisonniers nous serraient le cœur :  Il pleut ,  bergère ,  Cadet   Rousselle ,  Aux marches du palais , et, de temps à autre, une  Marseillaise  qui grondait comme un orage lointain.
    Nos repas se déroulaient sous le signe de la frugalité. Nous n’en souffrions pas trop lorsque le navire du ravitaillement ne se faisait pas attendre. Le tabac nous manquait, le vin surtout.
    Auguste nous dit un soir, dans un élan nostalgique :
    — L’un de mes meilleurs souvenirs a été, à peine avions-nous franchi les Pyrénées à la suite d’une longue marche sous un soleil implacable et dans la poussière, une halte dans une posada proche de Burgos. On nous y a servi un  clarete  rose, léger comme l’air et frais comme une eau de source. Mon dernier souvenir agréable a été le montilla dont je me suis abreuvé jusqu’à l’ivresse dans une  fonda  de Baños de la Encina, quelques jours avant Baylen. On a dû me reconduire à mon cantonnement…
    Je lui rappelai que j’étais l’un des hommes qui l’avaient soutenu et qu’il avait vomi sur mon uniforme.
    J’aimais ces instants de détente, au seuil de la nuit, quand les odeurs de thym, de genêt et d’eucalyptus descendaient par bouffées de la montagne avec des nuées de lucioles et des vols froufroutants de chauves-souris. Je dormais parfois seul, et parfois en compagnie d’Édith, fidèle, si je puis dire, à notre convention. Fatigué par la chaleur diurne et les tâches que nous nous imposions pour améliorer notre habitat, j’avais de longs sommeils sur ma paillasse d’herbes sauvages.
    Parfois, le matin, je comptais ma fortune : une

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