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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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espérer se faire entendre. Margont observait le champ de bataille à la longue-vue. Il voyait des cavaliers tourbillonnant en nuées, des volutes de fumées blanches ou noires, des masses noires mouvantes qui coulaient le long des collines pour aller se mêler à d’autres masses noires qui remontaient vers elles avant de disparaître dans la fumée...
    — On gagne ou on perd ? hurla Lefine.
    — On bouge beaucoup. C’est tout ce que je peux te dire.
    Lefine prit la lunette et promena son regard de part et d’autre. Ses lèvres s’entrouvrirent quand il aperçut les multitudes russes apparues au centre de la position ennemie.
    — Nom de Dieu, l’enfer a une indigestion de Russes et nous dégobille tous ceux qu’on a tués !
    Il avait plaisanté pour sauver la face, mais c’était lui qui, à l’idée des nouvelles boucheries à venir, avait envie de vomir.
    — C’est pas possible qu’il y ait autant de Russes sur terre ! s’exclama-t-il. On les a déjà tous exterminés ! Ce sont leurs cadavres qui se relèvent. Ils ramassent leurs morceaux, ils se regroupent autour des rivières et ils font une grande lessive pour se rendre plus présentables. Ils enterrent ceux qui sont vraiment trop abîmés : les coupés en deux, les écrabouillés, ceux qui n’ont plus de tête ou qui sont en mille pièces... Puis ils se remettent en rang et les revoilà tous ! Ils prennent les mêmes et ils recommencent. Les Russes, il faut les tuer et tuer en plus leurs cadavres sinon ils ressuscitent.
    — Je vais finir par y croire, à ta théorie de la grande lessive de l’armée russe. On va sûrement nous lancer à nouveau à l’assaut de la Grande Redoute, prophétisa Margont.
    — Et allez ! Encore une mauvaise nouvelle ! En plus, celle-là, elle est à se jeter du pont du Gard.
    Saber faisait les cent pas, les mains dans le dos. « Pourquoi l’Empereur n’a-t-il pas fait donner sa Garde pour enfoncer le centre russe ? » se demandait-il. Il avait constaté l’attaque de la cavalerie russe à l’extrême droite de Koutouzov mais il était persuadé que l’on tiendrait de ce côté-là et que tout cela n’était qu’anecdotique. Delarse passa au galop, suivi par deux aides de camp, un capitaine et le cheval noir de son ancien officier adjoint.
    — Il m’énerve, celui-là, murmura Lefine.
    Il se tourna vers Margont.
    — Il a un nouveau surnom depuis qu’il a montré son courage devant la Grande Redoute : « Crache la Mort ». On voulait dire « Crache sur la Mort » tellement il la provoque, mais « Crache la Mort », ça sonne mieux.
    — Et c’était quoi, son ancien surnom ? s’époumona Margont.
    — « Pas d’souffle ».
    — Et quel est le mien ?
    Lefine se tordit de rire.
    — « Le rat de bibliothèque », « le libraire » et « capitaine la Liberté ».
    — Ça vaut mieux que « Lefine la magouille », « Lefine la fouine » et « l’embobineur ».
    Lefine fut outré.
    — Ce sont des calomnies, monsieur ! Qui a dit ça ? C’est ce salopard d’Irénée, hein ?
    Piquebois zigzaguait entre les corps étendus. Il attrapa Saber par la manche, le tirant de ses rêveries au moment où la Garde impériale pulvérisait le centre russe et encerclait les ailes ennemies... dans son imagination. Margont et Lefine les rejoignirent auprès de Galouche qui se tenait assis, adossé à un bouleau fracassé à mi-tronc. Il avait les mains jointes à la fois pour prier et pour tenter d’endiguer le flot de sang qui s’échappait de son estomac. Saber se lança au pas de course à la recherche d’un chirurgien. Galouche fit signe à Margont d’approcher son oreille.
    — Dieu a entendu trop de prières à la fois aujourd’hui, il n’a pas pu s’occuper de tout le monde...
    Il ajouta en souriant :
    — Voilà des paroles bien terre-à-terre. J’ai vécu mystique et je meurs athée. C’est le contraire d’habitude...
    — Tu vas t’en sortir ! déclara Margont.
    C’était une banalité et il s’en voulut de ne rien trouver de plus convaincant. Galouche esquissa un geste pour lui tapoter le bras, mais s’interrompit. Il ne voulait pas maculer de sang la manche de son ami.
    — Demande à Lefine de te donner des cours de mensonge.
    Delarse repassa au galop en brandissant son sabre.
    — Tous à la redoute ! Tous à la redoute ! clamait-il.
    — Vas-y toi-même, connard ! hurla quelqu’un.
    L’insulte ne fut entendue que par le nuage de

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