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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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perdre connaissance. Le Français s’apprêtait à l’achever. Margont l’arrêta. Il fixait le Pavlov. Son bras et son front étaient bandés. Il avait également le muscle à nu au niveau de l’épaule.
    — Alors quoi ? Même les blessés s’y mettent ! hurla Margont.
    Le flot des fusiliers continuait à s’engouffrer dans la redoute. Des fantassins effectuèrent un crochet pour éviter Margont. Pour eux, ce pauvre capitaine parlait à un mort et ils craignaient plus la folie que la mort. À côté de lui, un garçon de dix ans pleurait. C’était un tambour russe. Des « nids d’hirondelles » décoraient ses épaules et des passements blancs en forme de V inversé parsemaient ses manches. Assis en tailleur, les coudes sur les genoux, il sanglotait au-dessus de son tambour crevé. Enfin, la Grande Redoute fut prise. Pirgnon, bras croisés, se tenait toujours sur son parapet. Margont se mit en quête de ses amis. Lefine surgit de derrière une pile de cadavres, la figure barbouillée de poudre.
    — Vous êtes encore en vie, mon capitaine ?
    Sa gueule noire rayonnait de plaisir.
    — Il répond pas, mais il est toujours en vie ! Regardez-moi ce cochon d’Irénée !
    Margont tourna la tête. Deux colonels et un général d’infanterie entouraient Saber. Il y avait également de nombreux officiers des cuirassiers.
    — On me dit que c’est vous qui avez dégagé les restes de la palissade qui barrait la gorge par laquelle nous sommes entrés dans la redoute, déclara un colonel des cuirassiers.
    — C’est exact, mon colonel, répliqua Saber, figé au garde-à-vous.
    — Comment vous nommez-vous ?
    — lieutenant Irénée Saber, mon colonel.
    — Eh bien désormais, on vous appellera « capitaine Saber », j’y veillerai personnellement.
    Les fantassins acclamèrent à nouveau les cuirassiers qui leur rendirent la pareille. Mais personne n’était plus heureux que Saber.
    Derrière la Grande Redoute se trouvaient encore massées des troupes russes. Margont aperçut Piquebois. Celui-ci se tenait debout sur des cadavres russes, car on ne pouvait pas poser les pieds ailleurs. Des corps horribles à voir, sabrés et transpercés de tous les côtés. Ils étaient la trace sanglante du passage des cuirassiers des 5 e et 8 e régiments, les héros de la Grande Redoute.
    — Ça va ? Tu n’as rien ? interrogea Margont.
    Piquebois ne répondit pas. Immobile, il fixait la ligne russe.
    — Ils sont là. Ce sont eux..., déclara-t-il.
    — Qui ça ?
    Margont regarda dans la même direction que lui. Il apercevait les rangs russes, plus loin, sur les hauteurs. Il distinguait les lignes vertes des fantassins et des cavaliers blanc et noir en rangs serrés.
    — Ce sont eux, ce sont les chevaliers-gardes, articula péniblement Piquebois.
    Et il s’élança en vociférant :
    — À mort ! Sus à la marmaille ! Tuons-les tous !
    Il se ruait vers eux tandis que les boulets ricochaient autour de lui. Le hussard se réveillait en lui et il était furieux. Piquebois devint frénétique, comme au plus fort des charges d’autrefois. Il voulait se jeter au milieu des chevaliers-gardes et périr en plein holocauste, dans une apothéose de sang, d’os brisés et de membres tranchés. Margont lui courait après, mais ne l’aurait jamais rattrapé si un obus n’avait explosé non loin de son ami. Margont ramassa Piquebois, le jeta sur son épaule et le ramena à la redoute. Piquebois, à demi inconscient, délirait. Il voyait les fameux chevaliers-gardes galoper et éclater de rire en le pointant de l’index.
    *
*   *
    Pendant que l’on achevait de prendre la Grande Redoute, Koutouzov fit charger la Garde à cheval contre les cuirassiers français. Mais des renforts de cavalerie furent envoyés. À l’issue de cette vaste mêlée de cavaliers, la cavalerie russe fut repoussée et plusieurs régiments d’infanterie ennemie furent également malmenés. À seize heures, le flanc gauche russe avait reculé. Le centre, bien que très affaibli par la perte de la Grande Redoute et du village de Semenovskoïe, tenait encore. À nouveau, Napoléon se demanda s’il devait faire donner sa Garde contre la Garde à pied russe formée en carrés et les rescapés des autres unités. Jamais il n’avait rencontré un ennemi aussi furieusement tenace. Il ne sentait pas encore les Russes sur le point de céder. Après de multiples hésitations, il déclara : « À huit cents lieues de la France, on ne

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