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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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lui, ne pouvait que voir que tout était perdu s’il ne réagissait pas. Il ordonna une contre-attaque générale, lançant dans la bataille des réserves considérables. Au centre, les fantassins de Lituanie, d’Ismaïlov et du prince de Wurtemberg ainsi que les cuirassiers d’Astrakhan et ceux de l’Impératrice attaquèrent le village de Semenovskoïe tandis que Barclay de Tolly et Bagration se lançaient à la reconquête des retranchements. Sur la droite russe, les cosaques de l’hetman Platov et les cavaliers d’Ouvarov passèrent à l’action et, sur la gauche, les soldats d’Olsuviev vinrent soutenir ceux de Touczov pour arrêter Poniatowski.
    Depuis la Grande Redoute, on vit accourir une multitude de Russes, les épaules pressées les unes contre les autres. Le courage gorgé de vodka, ils formaient un mur compact et criaient : « Hourra ! Hourra ! » pour remercier les Français de leur faire le plaisir extrême de les affronter. Dans le retranchement, principalement occupé par le 30 e de ligne, car les autres régiments étaient placés de part et d’autre de la position, on était sidéré. Alors quoi ? On n’avait pas gagné ? Ce n’était donc pas fini ? Les Français faisaient feu de toutes parts, mais les Russes ne ralentissaient même pas leur course. Leur masse grouillante vert et blanc où scintillaient les reflets des baïonnettes recouvrait aussitôt ceux des leurs qui tombaient, donnant l’illusion que la fusillade n’avait aucun effet.
    — Nom de Dieu, on tire sur des fantômes ou quoi ? jura quelqu’un.
    Margont aperçut Saber qui, avec quelques hommes, abattait les restes de la double palissade qui fermait la gorge de la redoute. Ils faisaient pression sur les troncs épargnés par les boulets, poussant à deux mains ou s’adossant au bois. On avait du mal à comprendre pourquoi ils agissaient ainsi. N’avaient-ils donc pas remarqué que les Russes allaient rentrer par là ?
    — Arrêtez-moi ces crétins ou je les fais fusiller sur-le-champ contre leurs poteaux ! cria un colonel en désignant Saber et ses hommes de la pointe de son sabre.
    Margont se fraya un chemin dans la foule des fusiliers pour rejoindre son ami.
    — Tu es fou ? Qu’est-ce que tu fais ?
    Saber avait agrippé un tronc qu’il faisait pencher peu à peu. Il était si têtu que, si trois hommes l’avaient empoigné pour l’enlever de force, ils l’auraient emporté avec son bout de palissade.
    — La redoute est perdue ! On va être balayés comme des feuilles mortes et les habits verts vont s’accrocher à cette batterie comme des moules à leur rocher. La seule façon de revenir ici, ce sera une attaque combinée en étau, infanterie de face et cavalerie à revers. Donc il faut dégager la voie pour nos cavaliers !
    — Une attaque combinée ? hurla Margont sans comprendre.
    Durant la nuit, Saber n’avait jamais tenu compte du facteur humain en traçant ses plans de bataille sur le sol. Ça, c’était une chose. Mais même à présent, alors qu’une marée humaine allait les engloutir, il continuait à raisonner de façon froide et mathématique. Désincarnée, même. Saber s’écroula avec son poteau. Un cavalier surgit devant eux. Son cheval piaffait et agitait la tête pour chasser l’écume de ses lèvres. L’homme et sa monture se tenaient en contre-jour et leurs silhouettes, sombres, fières, magnifiques, étaient effrayantes. On aurait dit l’un des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Les yeux des soldats s’acclimatèrent et reconnurent le colonel Delarse. Il tournait le dos à l’ennemi. Les Russes, de plus en plus proches, tentaient tous d’abattre cet officier que certains prenaient pour Napoléon en personne. Delarse désigna le coeur de la redoute.
    — Messieurs, ceci est la porte de Moscou. Ne les laissez pas la refermer !
    Une clameur accueillit ces paroles et les « Vive l’Empereur ! » retentirent. Delarse repartit au galop, suivi par un cheval noir sans cavalier. Darval, son officier adjoint, venait en effet de rouler mort au pied du remblai.
    La nuée russe s’abattit sur le retranchement. Des ombres noires apparurent de tous les côtés dans la fumée suffocante de la fusillade. De vives lueurs crépitaient sans cesse dans un vacarme assourdissant. Les Russes tentaient de pénétrer par la gorge, mais les Français leur barraient le passage. Les corps s’agglutinaient de part et d’autre. Les Russes qui suivaient se jetaient de tout leur

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