Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
Vom Netzwerk:
des gens soûls avec un fusil dans les mains, empoigna le vase et le renversa d’un geste rageur. Le punch s’étala en une flaque qui sentait bon la vanille, le citron et la cannelle. Le voltigeur leva les bras pour protester.
    — Oh ben attention, mon capitaine !
    Il sortit un mouchoir usagé de sa poche et se mit à éponger l’alcool avant de tordre le tissu au-dessus du récipient. Il s’en trouverait sans problème des dizaines pour le boire. À l’étage, Margont découvrit un billet cloué par un poignard sur une porte en bois de rose : « Strictement réservé au capitaine Saber, au capitaine Margont et au lieutenant Piquebois ». La pièce était profonde. Ses murs tendus de velours rouge et son plafond en bois brun sculpté accentuaient son aspect solennel. Une double rangée de candélabres servait à éclairer l’endroit, mais, par peur des incendies, on n’avait allumé que quelques bougies. Au fond de ce couloir d’ombre, dans un îlot de lumière, Lefine siégeait sur un trône et jouait au tsar de toutes les Russies. Un caporal respectueusement incliné l’écoutait. Lefine déclara avec majesté :
    — Je vous fais chevalier de l’ordre de Saint-André, général des hussards de la Garde, comte de Smolensk et prince de Sibérie.
    — Ah oui ? Prince de Sibérie, hein ? s’exclama Margont en se précipitant pour lancer une révolution de palais.
    Lefine, qui avait fêté Moscou au punch, désigna Margont et s’exclama :
    — Général, saisissez-vous de cet impudent et jetez-le dans mes mines de sel !
    Le tout nouvellement promu prince de Sibérie préféra se défiler en frôlant les murs tandis que Margont empoignait le collet de Lefine.
    — Si c’est pas malheureux, ça ! On couvre quelqu’un d’honneurs et, aussitôt que le vent tourne, il vous laisse tomber.
    — Le destin est si capricieux... « Tsar au moment du caviar, moujik au moment du canard. » Enfin, j’accepte l’armistice sans conditions.
    Margont chassa Lefine du trône et interrompit ses reproches pour admirer l’objet en bois sculpté dont les bords du dossier étaient constitués de deux défenses parfaitement droites gravées aux armoiries de la famille.
    — D’après un domestique, ce sont des défenses de narval, commenta Lefine.
    — Des défenses de quoi ?
    — De narval : des saletés de bêtes sous-marines avec une longue défense sur la tête, comme les espadons. Es embrochent les marins naufragés.
    — Oh, ils en attrapent moins souvent que toi, les bêtises aquatiques. Et je sais ce que c’est qu’un narval seulement... un trône en défenses de narval ? Mais chez qui nous trouvons-nous ?
    — Chez un prince. Un de plus.
    Margont alla s’asseoir dans un fauteuil plus modeste.
    — J’ai un plan pour démasquer notre homme : nous allons lui tendre un piège.
    Lefine recula instinctivement la tête.
    — Ah.
    — Je vais lui faire parvenir une lettre pour le faire chanter.
    — Mais on ne sait pas de qui il s’agit.
    — Justement. L’idée, c’est que je vais faire parvenir ce mot aux quatre suspects. Je ne signerai que « C.M. ». L’assassin, puisqu’il connaît mon nom, déchiffrera « capitaine Margont » alors que les autres, ne comprenant rien, penseront qu’un mot qui ne leur était pas destiné a accidentellement atterri dans leurs mains.
    Lefine ne se montra pas enthousiaste.
    — L’un des suspects, même s’il n’est pas l’assassin, risque quand même de venir au rendez-vous, par curiosité...
    — Non, car je choisirai comme lieu de rencontre la « demeure moscovite de la dame de Smolensk ». Je me suis renseigné : la comtesse Sperzof possédait une résidence ici.
    — Peut-être l’a-t-il tuée sans même connaître son nom.
    — C’est possible, mais peu probable, car, d’après les domestiques, la comtesse ne dissimulait pas son identité à ses amants de passage. De toute manière, l’assassin a volé sa chevalière. Je suis sûr qu’il l’a gardée comme souvenir et comme trophée. Avec un blason, on retrouve aisément un nom. Et avec un nom, on obtient une adresse. Surtout quand sa vie est en jeu.
    — Moi, à sa place, je n’irais pas.
    — Je vais prétendre que mon espion n’a jamais perdu sa trace dans Smolensk, qu’il l’a vu en compagnie de la « dame de Smolensk » et qu’il l’a suivi jusque chez elle. Notre homme n’osera pas courir le risque de ne pas se rendre à mon

Weitere Kostenlose Bücher