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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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« invitation ».
    — Il va se demander pourquoi vous avez attendu si longtemps pour agir.
    — Ne t’inquiète pas, j’ai déjà trouvé la réponse à cette objection. Ce sera expliqué dans le mot.
    Lefine étendit ses jambes. Elles lui en voulaient encore pour toutes ces marches forcées.
    — Dans ce cas, si j’étais lui, j’irais et je vous tuerais.
    — C’est l’un des deux problèmes. Mais nous ne serons pas seuls. Il nous faut des hommes de confiance qui sauront garder secrète cette affaire. J’ai pensé à Saber, à Piquebois, au capitaine Dalero et à notre ami le lancier rouge. Cinq hommes placés en embuscade, plus moi. Avec plus de monde, nous risquerions d’être découverts.
    — Quel est le plan ?
    — Notre homme arrive pour me payer ou pour m’abattre. Là, je vois enfin de qui il s’agit. J’essaie de l’amener à parler de ses crimes, par exemple en lui demandant pourquoi il a agi ainsi. S’il me répond, alors c’est gagné ! Vous êtes tous témoins de ses aveux et nous l’arrêtons. Le prince Eugène sera bien obligé de me croire lorsqu’il entendra la confirmation de ma version par un capitaine de sa propre Garde royale et un lancier de la Garde impériale ! Et même si notre tueur ne me répond pas, nous posséderons une preuve contre lui. Il aura payé une forte somme pour...
    — Ou il aura tué le capitaine Margont sous nos yeux, le coupa Lefine.
    Margont ne releva pas cette noire plaisanterie qui, d’ailleurs, n’en était pas une. Lefine se massait les cuisses sans parvenir à soulager ses crampes.
    — Et quel est le second problème ?
    — Si notre homme ne vient pas. Il découvrira alors que nous avons tenté de le mener en bateau. Mais quelles conséquences pour notre enquête ? Aucune.
    Margont se leva de sa chaise avec vivacité.
    — Nous allons attendre un jour ou deux avant d’agir. Soit Delarse mourra effectivement du fait de sa crise, soit, à peine rétabli, il recevra un courrier anonyme...
    Lefine s’éloigna, songeur. À la place de l’assassin, il ne paierait pas. Mais il irait bien au rendez-vous... Margont attaqua aussitôt sa lettre :
    Monsieur,
    Je suis au courant de ce que vous avez fait et je suis en mesure de le prouver. En effet, l’homme que j’avais chargé de vous surveiller à Smolensk ne vous a jamais perdu de vue. Il vous a vu rencontrer celle que j’appellerai « la dame de Smolensk » et l’accompagner jusqu’à son domicile dans lequel vous êtes entré.
    J’ai longuement réfléchi à ce que je devais faire. Mais, après avoir assisté à tant d’horreurs à Smolensk, à la Moskowa et à Moscou, je me suis dit : pourquoi risquer ma carrière en attaquant la vôtre ? Le monde n’est visiblement pas à une boucherie près. J’ai donc décidé de vous proposer de monnayer mon silence. Il vous en coûtera six mille francs. C’est une belle somme, mais vous parviendrez bien à la réunir en taxant vos soldats sur leurs butins (d’autres officiers le font bien). Pas d’objets précieux. Payez-moi en argent et en bijoux, c’est plus facilement transportable. Je vous donne rendez-vous le 23, à 3 heures du matin, devant la maison que « la dame de Smolensk » possédait à Moscou. Venez seul. Votre absence vous coûterait bien plus cher que votre présence, car j’irais présenter mon rapport à qui de droit.
    Dans l’attente d’une issue qui nous sera favorable à tous deux...
    C.M.
    Margont plia ce document et le plongea dans sa poche. Il se leva, hésita et, finalement, alla s’asseoir sur ce trône qui le fascinait. Il prit une position nonchalante, une jambe posée sur l’autre et les bras écartés appuyés sur les accoudoirs. Il imagina une cour de généraux, de comtes et de princesses se pressant pour lui rendre hommage. Il y avait des cosaques de la Garde et les gens s’écartaient sur leur passage, car on craignait leur impulsivité. Les hussards rouges chamarrés d’or discutaient avec des uhlans et des chevaliers-gardes ou avec des émissaires au faciès mongol venus de provinces reculées. Les plus belles femmes de Moscou et de Saint-Pétersbourg s’agitaient discrètement dans l’espoir d’attirer son attention. Mais lui n’avait d’yeux que pour la jeune comtesse Valiouska.
    Margont avait l’impression d’être invincible, triomphant, même. Il lui semblait que son regard était plus perçant et son acuité auditive, plus poussée. Mais il n’était pas dupe. Il savait

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