Les proies de l'officier
sous-estimer le climat russe. L’Empereur continuait à s’attarder à Moscou. Il voulait faire croire à l’ennemi que tout allait bien et qu’il avait l’intention de passer l’hiver dans la capitale. Il pensait que, entre le Tsar et lui, le dernier à céder l’emporterait. Il était également conscient d’avoir atteint le point culminant de sa gloire. Dans toute l’Europe, on le craignait et on devait compter avec sa politique. Ordonner la retraite serait son premier échec personnel. De plus, cette retraite sans armistice s’annonçait très périlleuse. Napoléon voulait retarder le moment où il entamerait sa descente du firmament. Il en venait à tenter de se convaincre que le Tsar allait finalement négocier et que les hivers russes n’étaient pas pires que les hivers parisiens...
Le 17 octobre, la trêve tacite établie entre les deux armées – trêve partielle, car les cosaques et les partisans harcelaient sans cesse les arrières français – fut rompue. À Vinkovo, les Russes, nettement plus nombreux, firent deux mille cinq cents prisonniers et prirent trente-trois canons. Murat, toujours fidèle à lui-même, contre-attaqua par une charge de cavalerie. Au final : deux mille morts de chaque côté. Napoléon ordonna le départ pour le 19. Il savait que le temps jouait contre lui et que Koutouzov ferait tout pour lui couper la retraite afin que l’hiver et les privations anéantissent son armée.
30.
Lorsque la Grande Armée entama sa retraite, la cohue était indescriptible. Aux cent mille soldats restants et à ceux qui les accompagnaient – épouses, domestiques d’officiers, cantinières et vivandières – s’étaient joints des milliers de Moscovites d’origine étrangère qui craignaient des représailles de la part des Russes. Les rues se retrouvaient donc engorgées de calèches, voitures, chariots, fourgons, caissons, chars à bancs et autres attelages en tout genre. Plusieurs de ces véhicules, croulant sous le butin et les passagers, avaient brisé une roue et bloquaient le passage.
Napoléon possédait encore une armée puissante. Le moral était bon : on avait confiance en l’Empereur. Cependant, le désordre minait déjà l’efficacité des troupes. Koutouzov, lui, par une subtile manoeuvre, avait cessé de se replier vers l’est pour venir placer ses forces au sud de Moscou. Il barrait ainsi la route menant aux riches provinces du sud et menaçait la retraite des Français en direction de Smolensk. Tandis que Napoléon avait réorganisé son armée et joui de sa conquête en attendant l’ouverture de négociations, Koutouzov avait restructuré ses forces. Il avait recruté d’innombrables paysans persuadés que les Français avaient incendié Moscou, profanaient leurs églises (il était vrai que certains escadrons, par insolence laïque, avaient changé des églises en écuries...) et exterminaient le peuple. De plus, il recevait continuellement des renforts de toutes les provinces. Il disposait maintenant de cent vingt mille soldats secondés par deux cent mille miliciens. Koutouzov craignait cependant Napoléon et voulait éviter les affrontements directs. Il souhaitait temporiser le plus possible, laissant l’hiver et la faim ravager les rangs ennemis avant de finir par intercepter l’armée française pour l’anéantir. Napoléon, lui, projetait de se replier jusqu’à Smolensk. Il pensait regrouper ses forces dans cette ville et les ravitailler avec les dépôts de vivres qu’il avait fait constituer là-bas. Il commença par prendre la route de Kalougha, au sud de celle de Smolensk. Une partie de l’armée russe, commandée par le lieutenant général Doktorov, lui barra le passage. Des combats eurent lieu dans la ville de Malo-Yaroslavetz. Celle-ci fut plusieurs fois perdue et reprise par les troupes du prince Eugène. Dix-sept mille Français et Italiens se battirent contre plus de cinquante mille Russes. Le 4 e corps perdit quatre mille hommes et les Russes le double. Mais Koutouzov avait eu le temps de rejoindre Doktorov. C’était l’armée russe tout entière qui entravait maintenant la route de Kalougha.
Napoléon se trouvait face à un dilemme. Soit il persistait à vouloir se replier par la route de Kalougha. Pour cela, il lui faudrait battre l’armée russe malgré la supériorité numérique de celle-ci. Soit il reprenait la route de Smolensk, la voie la plus courte, mais aussi celle qui avait été pillée à l’aller et qui
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