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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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gagner une telle décoration. Barguelot avait donc triché autrement...
    — Mon colonel, je souhaite simplement comprendre ce qui s’est passé. Vous sembliez croire que c’était moi qui vous avais convié à ce rendez-vous à Moscou, mais c’est faux. Qui vous a communiqué cette adresse ? Et comment ?
    — Un Moscovite a remis un courrier à l’un de mes officiers. Ce message anonyme m’était destiné et me demandait de me rendre chez la comtesse Sperzof pour des motifs personnels. Quand je vous ai aperçu là-bas, j’ai cru en toute logique que vous en étiez l’auteur.
    — Je dois voir cette lettre.
    — Je l’ai brûlée.
    — Nullement ! Elle est la preuve qu’on a tenté de vous faire chanter, or on ne jette jamais une arme susceptible de servir contre un ennemi.
    Barguelot déboutonna avec raideur sa capote et son habit. Sa main disparut sous les couches de tissus doublés de fourrure avant de réapparaître avec un pli.
    — Je n’aurais jamais cru qu’il existât des gens aussi cruels que vous, murmura Barguelot en tendant la lettre.
    — Vous faites erreur sur mon compte. Quant à la cruauté de celui que je recherche, elle est bien au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer.
    Margont déplia le document.
    Monsieur,
    Belle Légion d’honneur que vous avez là. Trop belle pour vous d’ailleurs, car c’est beaucoup pour une cheville foulée à Iéna. Ne faudrait-il pas plutôt remercier, au lieu des Prussiens, un certain maréchal qui, fort ennuyé d’avoir été découvert dans votre lit avec votre jeune et belle épouse, vous proposa quelques compensations sous forme d’une promotion et d’une décoration ?
    Vous ne désirez certainement pas que l’affaire soit connue. Moi non plus, car qu’est-ce que cela me rapporterait ? Je fixe le prix de mon silence à six mille francs payables sous la forme de votre choix. Piliez un peu autour de vous. De toute façon, je vous sais fortuné alors vous trouverez bien une cassette dans vos bagages. Je vous donne rendez-vous le 23, à 3 heures du matin, devant la demeure de la comtesse Sperzof. Ces ruines sont proches du Kremlin, non loin du bâtiment dans lequel loge le second bataillon du 48 e de ligne.
    Ne soyez pas en retard, il fait si froid la nuit à Moscou...
    — Ce sont des calomnies ! précisa aussitôt le colonel Barguelot.
    — Qui est au courant de ces « calomnies » ?
    Barguelot était immobile. Il ne bougeait même plus machinalement sur place pour lutter contre le froid. Comme il demeurait silencieux, Margont poursuivit :
    — Connaissez-vous le colonel Fidassio ou le capitaine Nedroni ?
    — Non.
    — Et le colonel Pirgnon ?
    — Vaguement.
    — Cela ne m’étonne pas. Mais je crois que vous le connaissez mieux que « vaguement ». D’une part, vous servez tous les deux dans la même division. D’autre part, vous vous êtes certainement rencontrés lors de soirées mondaines, à Paris. Ou à Madrid. Certainement à Paris et à Madrid d’ailleurs, car ni lui ni vous ne manqueriez une seule réception pour tout l’or du monde. Le colonel Pirgnon est-il au courant de ce à quoi fait allusion cette lettre ?
    — Il est exact que le colonel Pirgnon a eu vent de ce ragot infect puisqu’il servait dans l’état-major du maréchal en question.
    — C’était lui que vous vous attendiez à voir, cette nuit-là, n’est-ce pas ?
    Une grande détresse se peignit sur les traits de Barguelot.
    — Oui.
    — Mon colonel, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Et ce « ragot » ne sera pas ébruité, je vous en donne ma parole.
    Margont salua et s’en alla, abandonnant un colonel Barguelot à la dérive. Lefïne, dérouté, pressa le pas pour rattraper son ami qui pataugeait à grandes enjambées dans la neige.
    — J’aimerais qu’on m’explique !
    — J’ai un moment cru que le colonel Barguelot était notre homme. Mais deux détails, deux petites zones d’ombre persistaient. Pourquoi le colonel Barguelot avait-il refusé l’honneur de croiser amicalement le fer avec le maréchal Davout et pourquoi ne mangeait-il ni ne buvait-il jamais en public ? Lorsqu’il m’a convié à ce repas entre officiers, il n’a touché à rien. C’est insultant de voir celui qui vous invite ne pas goûter aux plats qu’il vous fait servir. Qu’est-ce qui peut empêcher un homme de manger, de boire et de se battre à l’épée ? Alors j’ai repensé à une anecdote que m’avait racontée le

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