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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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pelisse verte, culotte et shako rouges, s’était massé en avant dans la plaine, sur deux lignes. La division Delzons faisait mouvement, longue et large colonne bleu sombre et blanc couronnée par une forêt de baïonnettes qui miroitaient sous le soleil. Plusieurs régiments suivaient, se demandant lesquels iraient au combat et lesquels seraient tenus en réserve. Les artilleurs s’activaient pour positionner leurs pièces, s’agglutinant pour pousser un canon ou déchargeant les munitions des caissons. Ailleurs, des escadrons de chasseurs s’alignaient et des régiments en colonne progressaient en pressant l’allure. En première ligne, des tirailleurs espacés de quelques pas les uns des autres étaient occupés à faire le coup de feu avec les Russes. Le champ de bataille était formé de coteaux fréquemment boisés. On ne voyait donc pas les Russes. On apercevait seulement des panaches de fumée blanche là où leurs canons faisaient feu.
    — Faites excuse, mon capitaine, vous croyez que c’est la bataille qu’on attend tous ?
    — Qu’est-ce que j’en sais ? répondit sèchement Margont sans détourner la tête.
    — Y aurait pas tout ce remue-ménage pour quelques cosaques, vous croyez pas ?
    Margont n’avait pas envie de parler, surtout pour ne rien dire. Il inspectait les lieux. Dans quelle direction allait-on les faire charger ? Probablement droit devant. Que pouvait-il voir de cette forêt de bouleaux qui lui faisait face ? Y avait-il une position facilement défendable vers laquelle se replier avec ses hommes si l’assaut tournait en leur défaveur ?
    — C’est quelle route, là-bas, mon capitaine ?
    Margont soupira bruyamment et tourna la tête vers le bavard. Le soldat devait avoir à peine quinze ans. Son visage était couvert de boutons rouges ou purulents.
    — Tu as quel âge, mon garçon ?
    — Vingt ans ! lança celui-ci en relevant le menton en signe de défi.
    — Réponds dix-huit, tu seras à peine un peu plus crédible.
    — Vingt ans, mon capitaine ! Et j’ai déjà attrapé la vérole !
    Margont sourit. On voulait lui vendre de l’acné pour de la vérole.
    — Tu es un malin, toi. Mais arrête un peu de parler. Profite du silence. Il y aura bien assez de vacarme quand tout le monde se tirera dessus.
    Le jeune homme bomba le torse. Un capitaine venait de le complimenter ! Si on avait laissé faire cet adolescent, il aurait déjà chargé l’ennemi avec mille autres comme lui avant même d’attendre que l’artillerie ait préparé le terrain.
    — Refaites excuse, mon capitaine : pourquoi vous la portez pas, votre Légion d’honneur ?
    Évidemment. Margont aurait dû s’y attendre.
    — Pour ne pas la perdre et pour ne pas énerver encore plus les Russes. Porter sa Légion d’honneur, c’est comme se coudre sur la poitrine l’inscription « Tirez tous sur moi ! »
    La réponse déçut le soldat qui ne fit rien pour dissimuler son sentiment. Margont n’en fut pas surpris. Sa réponse présentait ainsi deux avantages, elle était sincère et elle clouait le bec à son interlocuteur.
    — Le capitaine Varebeaux et le sergent Parin, eux, ils la portent.
    Sur ce, le garçon se figea sans émettre un mot de plus. Margont reprit son examen des lieux. Il détaillait la route de Vitebsk lorsque retentit une succession de coups de tonnerre. Les canons français vomissaient des langues de feu et des volutes d’épaisse fumée blanche. Aussitôt, les servants s’activaient comme des fourmis excitées. On replaçait les pièces pour corriger le recul, on enfournait dans la gueule des monstres l’éponge gorgée d’eau du refouloir, on remplissait cette longue bouche affamée avec de la poudre, de la bourre et le boulet et on tassait le tout, on pointait pour rectifier le tir... Enfin, le bouteur de feu, la mèche à la main, fixait le chef de pièce, attendant l’ordre de faire feu. La fumée, lourde et dense, s’accumulait autour des batteries. Les détonations, impérieuses et agressives, martelaient les oreilles. Une pluie de boulets s’abattait sur les bois qui se trouvaient face à la division Delzons. Les feuillages des bouleaux tressaillaient ; des grappes de branchages arrachés chutaient. Un obus éclata dans un buisson et l’on vit distinctement deux corps désarticulés projetés en l’air. Une clameur de triomphe accueillit cette vision atroce.
    — Alors, mon capitaine ? Russes ou pas Russes, aujourd’hui ? l’interrogea

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