Les proies de l'officier
repas, Barguelot fit un signe discret à l’un de ses valets. Ce dernier prit son verre, le remplit un peu plus et le plaça directement dans la main du colonel. Barguelot se leva et tout le monde l’imita, le verre à la main.
— Quel dommage que je n’aie pas eu le temps de vous narrer la libération de Copenhague en 1638 par la flotte hollandaise. L’un de mes ancêtres en était, en tant que capitaine de vaisseau. Son navire, placé en tête de l’escadre, s’illustra lors du passage en force du blocus suédois. Mais ce n’est que partie remise. Messieurs !
Il brandit son verre et vingt bras firent de même.
— À Moscou, bientôt petite soeur de Paris !
— À Moscou ! répondirent d’un même élan tous les officiers.
Ces belles paroles les revigorèrent autant que le bon bordeaux et l’on se sépara dans la gaieté alors que, dans toutes les directions, l’horizon était constellé de brasiers qui scintillaient dans la nuit. Le lendemain, comme d’habitude, les Français ne piétineraient que des cendres.
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Les jours qui suivirent se révélèrent particulièrement frustrants pour Margont. Malgré toutes ses tentatives, il lui fut impossible de rencontrer les deux autres suspects.
Le colonel Fidassio n’était jamais disponible. Le capitaine Nedroni, qui le secondait, s’évertuait à faire barrage. Il jouait le rôle de l’intermédiaire obligé, celui qui regrettait chaque fois d’annoncer que le colonel était trop occupé pour le moment mais qui se ferait un plaisir de transmettre un message. Nedroni soignait sa présentation sans toutefois sombrer dans l’ostentation. Ses cheveux noirs faisaient paraître son teint plus pâle encore et ce dernier le distinguait des autres Italiens. Le colonel Fidassio, que Margont était parvenu à apercevoir de loin, semblait soucieux. Il chevauchait seul, à distance de son régiment. Le colonel avoisinait les trente-cinq ans. Ses cheveux étaient bruns, son visage massif encore alourdi par de larges pommettes. Ce bref portrait brossé à la va-vite et à distance fut tout ce que Margont put obtenir.
Le colonel Pirgnon, lui, semblait quasiment insaisissable. Il ne se trouvait que rarement avec son régiment. Tantôt il accompagnait un détachement en maraude, tantôt il s’entretenait avec le médecin principal ou avec le directeur des fourrages, tantôt il partait en reconnaissance, tantôt il galopait sur un cheval pris à un cosaque pour tenter de le mater... Margont n’était même pas parvenu à l’entrevoir une seule fois.
Lefine avait recruté des hommes de confiance et les quatre suspects – quatre car Lefine, à la différence de Margont, estimait qu’on ne devait pas éliminer Delarse – étaient discrètement surveillés jour et nuit. Excepté Pirgnon que l’on suivait quand on le pouvait.
Le temps s’écoulait donc avec une lenteur désespérante. Jusqu’au 26 juillet.
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Au matin du 26 juillet, une fièvre s’était emparée du 4 e corps. Les Russes ! Ils étaient là ! Vraiment ? Ne fallait-il pas craindre une fausse rumeur ? Non ! La veille, la 1 re division légère du 1 er corps de réserve de cavalerie avait été sérieusement accrochée par l’ennemi. Comme à son habitude, le maréchal Murat, qui commandait ce corps, avait chargé pour faire un carnage. Mais les Russes étaient toujours là.
Le prince Eugène déployait ses troupes. Un assaut semblait imminent. Margont patientait à son poste, dans la brigade Huard. Cette brigade appartenait à la division Delzons et, puisque cette division constituait le fer de lance du 4 e corps, elle monterait à l’assaut en première ligne. Margont, comme la majorité des officiers et des soldats, ignorait tout de la situation. Il ne savait pas s’il allait charger dix mille Russes, cinquante mille, cent mille... ou trois cents. Bien des combattants s’étaient habitués à cette cécité vis-à-vis des enjeux réels des engagements. Mais pas Margont. Non, vraiment, le fait de ne rien savoir exaspérait son esprit avide de toute connaissance, même la plus inutile (pour lui, d’ailleurs, une connaissance ne pouvait pas, par définition, être inutile). Alors il essayait de tirer des déductions de ses observations. Le prince Eugène cavalcadait d’un point à l’autre de son armée, suivi par son cortège flamboyant d’aides de camp, d’officiers d’ordonnance et de généraux. Partout, des troupes prenaient position. Le 8 e hussards,
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