Les Rapines Du Duc De Guise
rumeurs
circulaient. Les troupes du duc de Guise se seraient mises en marche, assuraient
certains, faisant comprendre par leurs mimiques qu’ils en savaient même
beaucoup plus. D’autres juraient que le duc serait à Paris dans un jour ou deux.
D’autres encore qu’il fallait assiéger le Louvre et saisir le bougre pour l’enfermer
dans un couvent. Même monté sur un escabeau, Hotman parvint difficilement à se
faire entendre dans le tumulte.
— Mes amis, j’ai reçu il y a une heure un
messager venant de Châlons, cria-t-il. À l’heure qu’il est, le duc de Guise a
dû s’emparer de la ville qui deviendra la capitale de la Ligue, en attendant
que nous livrions Paris !
Les hourras et les cris de joie couvrirent sa
voix pendant plusieurs minutes. Les gens s’embrassaient, se félicitaient, et
Nicolas ne fut pas le dernier à montrer son apparente satisfaction.
Tandis que Bussy Le Clerc faisait signe à
Hotman qu’il voulait lui parler, le père Boucher monta sur l’escabeau pour se
faire entendre.
— Il faut maintenant prendre la Bastille !
hurla-t-il. Ce sera facile, nous saisirons chez lui le chevalier du guet qui en
est le gouverneur et, le poignard sur la gorge, il nous fera entrer !
Un des participants vociféra :
— Il faut pendre à Montfaucon tous les
politiques, les présidents du parlement, les mignons, le chancelier, le
Procureur général…
Les longues clameurs d’approbation rendirent
la suite inaudible.
Poulain s’approcha de Hotman qui était en
conciliabule avec La Chapelle, Louchart et Bussy. À cause du tumulte, il ne put
entendre ce qu’ils disaient, mais à leur expression, il devinait qu’ils
désapprouvaient ce discours belliciste. Il en comprenait les raisons : les
membre du conseil des Seize savaient que ce n’était pas avec les quelques
centaines d’épées et de corselets qu’il leur avait achetés qu’ils pourraient
battre les Suisses du Louvre, bien équipés de mousquets et de couleuvrines. Ils
avaient besoin des armes que leur avait promises le duc de Guise et qui n’étaient
toujours pas arrivées.
Le calme étant revenu, Hotman reprit sa place
sur le tabouret.
— M. de Nully et les échevins
sont de tout cœur avec nous, vous le savez, ainsi que toute la garde bourgeoise
et les quarteniers. Il est donc inutile de prendre des risques et de nous
lancer dans des aventures, ou dans des émeutes que nous ne pourrions plus
maîtriser. Il y a en ville beaucoup de truands et de crocheteurs qui, une fois
prévenus de notre entreprise, ne pourront plus être retenus s’ils se sont mis à
piller. Les commissaires et les sergents du Châtelet doivent pouvoir assurer l’ordre
quand l’heure de la bataille aura sonné. M. de Guise m’a écrit que
nous devons simplement lui livrer les portes. Nous recevrons à ce moment d’autres
armes, et particulièrement des arquebuses qui nous font cruellement défaut. Ce
n’est qu’après que nous pourrons nous lancer à l’assaut du Palais, de l’Arsenal,
de la Bastille et du Louvre, et régler leur sort à la noblesse et aux
politiques qui tiennent pour le parti du roi.
— Vive la messe ! cria un
participant.
Le cri fut aussitôt repris par l’assemblée où
chacun se voyait obtenir états et dignités confisqués à ceux qu’ils auraient
massacrés. Les plus âgés se remémoraient même entre eux, avec force détails
croustillants, leurs meilleurs souvenirs de la Saint-Barthélemy. Leurs ennemis
qu’ils avaient tués, les femmes et les filles qu’ils avaient violentés, les
bijoux qu’ils avaient volés.
Écœuré, Nicolas Poulain s’approcha du
commissaire Louchart.
— Si je comprends bien, vous n’aurez
bientôt plus besoin de mes services, fit-il avec un sourire sans joie. Guise
vous fournira bientôt tout ce que vous demandez.
— Croyez-vous ? répliqua Louchart, le
visage jaune et crispé. Ce n’est pourtant pas faute de lui avoir déjà demandé
de nous donner des mousquets ! Mais si le duc prend nos pécunes, il ne
nous baille jamais rien en échange, ayant trop peur de notre nombre. Croyez-moi,
vous avez encore beaucoup à faire pour nous, conclut-il.
Poulain hocha la tête d’un air entendu. Louchart
était certainement bien meilleur politique que les braillards dans la salle qui
ne parlaient plus que de rapines et pillage.
Six ans plus tard, quand le commissaire
Louchart serait pendu aux solives de la Grande salle basse du Louvre, au côté
de l’avocat Ameline
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