Les Rapines Du Duc De Guise
messager au roi qui m’a fait chercher, mercredi soir. Devant
Épernon et Joyeuse, le roi n’a pas caché sa colère, me menaçant de m’ôter ma
charge si je recommençais. Son cousin Guise était très fâché, a-t-il expliqué. Ces
armes étaient pour un régiment qu’il rassemblait afin d’aller délivrer sa
cousine Marie [58] enfermée en Angleterre par la reine, et l’empêcher d’accomplir ce
devoir sacré était un crime contre la religion catholique et romaine.
Poulain devinait, au ton haché du Grand prévôt,
à quel point celui-ci avait été humilié d’être ainsi traité.
— Épernon n’a pas dit mot et Joyeuse a
approuvé le discours de Sa Majesté. J’ai dû me rendre jeudi à Lagny pour faire
libérer M. de La Rochette et ses gens, et leur faire mes excuses !
J’ai dû leur rendre leur barque et ils ont pu librement repartir pour Châlons
avec les armes !
— Ce n’est pas possible, murmura Poulain,
assommé par cette nouvelle.
— Cela s’est passé comme je vous le dis, monsieur
Poulain ! Beaucoup murmurent à la cour qu’il y aurait intelligence entre
le roi et ceux de Guise. Moi-même, je ne sais plus que penser…
Poulain resta silencieux. Si c’était vrai, dans
combien de temps serait-il découvert ? Il n’aurait alors aucune aide à
attendre et finirait pendu devant chez lui. Et le même sort attendait sans
doute sa femme, ses enfants et sa belle-famille.
Quel fou il avait été de faire confiance à ce
roi si lâche !
— … Mais tout n’est pas perdu, monsieur
Poulain, fit Richelieu pour le rassurer en voyant son visage défait. Je connais
le roi. Il est capable de grandes colères qu’il regrette bien vite, il s’est
déjà comporté ainsi dans le passé. Il aime et hait sans mesure. Quand il a
confiance en quelqu’un, personne ne peut le convaincre qu’on le trahit. Pour
des raisons que j’ignore, il semble y avoir une sorte de pacte entre Henri de
Guise et lui, depuis la Saint-Barthélemy. Il est persuadé que le duc ne tentera
jamais de le renverser par la force, qu’il veut juste devenir son favori, comme
son père était celui d’Henri II. Malheureusement, le roi désire trop la
paix pour son royaume et ses sujets. Mais ses yeux finiront bien par se
dessiller, malgré sa mère qui aime Guise plus que son fils, et malgré Joyeuse
qui a donné sa foi aux Lorrains. Dès lors, je peux vous l’assurer, sa patience
se transformera en fureur, il sera comme un fauve entouré par des chiens, et il
ne se laissera pas prendre au filet !
L’entretien était terminé. Poulain repartit
terrorisé. Il songeait à Salvancy. Si Olivier le dénonçait et que le duc de
Guise intervienne, c’est lui et Hauteville qui finiraient en prison et à
Montfaucon.
21.
Dimanche 17 mars 1585
Le dimanche 17 mars,
Olivier expliqua à ses domestiques que Mlle Baulieu était souffrante et ne
pouvait les accompagner à la messe. À l’église où il se rendit avec ses gens, Olivier
rencontra Nicolas Poulain et sa famille, et revint avec eux après l’office.
Après avoir raccompagné sa femme et ses
enfants chez lui, Nicolas Poulain repartit avec Olivier sous le prétexte de
saluer Cassandre et Caudebec, mais en vérité pour leur faire part de ce qu’il
avait appris la veille du Grand prévôt de France sur le convoi d’armes de M. de La
Rochette.
— On a saisi sur la Marne une barque
pleine de corselets et d’arquebuses – de quoi armer plusieurs compagnies – conduite
par des gentilshommes du cardinal de Guise, expliqua-t-il dans la chambre de la
jeune femme où ils s’étaient tous réunis. Le duc s’en est plaint auprès du roi,
et Sa Majesté a donné ordre de libérer les gentilshommes et de laisser passer
le chargement…
Il ne dit pas, bien sûr, qu’il savait tout
cela du Grand prévôt de France, ni que lui-même avait été l’un des acheteurs de
ces armes pour la Ligue !
Olivier ne savait comment prendre cette
nouvelle. Il avait trop longtemps admiré le duc de Guise et détesté Henri III
pour se chagriner de la lâcheté royale, mais Cassandre en fut ulcérée pour deux :
— Cela prouve que le roi a peur ! Qu’il
n’a plus aucun pouvoir dans son propre royaume !
— D’aucuns disent qu’il y aurait
intelligence entre le roi et ceux de Guise, remarqua Nicolas Poulain, sans
cacher son inquiétude.
— Quelle qu’en soit la raison, reprit
Cassandre avec fougue, cette histoire doit vous ouvrir les yeux, Olivier !
Si
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