Les Rapines Du Duc De Guise
amis n’avait pas été si forte. Son devoir de prince de sang devait
finalement l’emporter sur ses désirs. Il a été contraint de l’abandonner, et elle
ne lui a jamais pardonné. On dit que lorsqu’ils s’écrivaient, il ne signait pas
de son nom mais de ces mots : Mourons ensemble !
— C’est lui
qui est mort le premier, dit Cassandre avec un air mélancolique.
Elle ne posa pas d’autres questions. Elle s’interrogeait
à nouveau sur les raisons qui la faisaient s’intéresser au prince de Condé et à
Mme Sardini. Il est vrai qu’elle allait la rencontrer. Sa mère adoptive, Mme du
Mornay, lui avait dit qu’elle devrait s’en méfier, donc tout ce qu’elle saurait
sur elle pourrait lui être utile pour se défendre. Tout de même, elle ne
pouvait s’empêcher de songer à sa triste destinée.
12.
Vendredi 1 er février 1585
Le vendredi suivant,
lors de la réunion du conseil de la sainte union, Nicolas Poulain informa les
participants qu’il avait encore acheté une vingtaine d’épées et autant de
cuirasses. M. Mayneville n’en parut guère satisfait. Il était venu
accompagné d’un homme râblé, au cou de taureau et au mufle couturé de
cicatrices qu’il présenta comme étant François de La Rochette, écuyer du
cardinal de Guise. M. de La Rochette partirait la semaine prochaine
pour l’Artois, expliqua-t-il, afin d’acheter des arquebuses pour le duc de
Guise qui seraient ensuite transportées par la Marne jusqu’en Lorraine. Mayneville
proposa que M. de La Rochette achète aussi des armes pour la ligue
parisienne puisque M. Poulain ne parvenait pas à s’en procurer en nombre
suffisant.
Arras, la capitale de l’Artois, se situait à
proximité des provinces wallonnes, où se trouvaient un grand nombre de forges. Cette
industrie avait entraîné l’installation de trumelliers qui martelaient les
grèves d’armure ainsi que de fourbisseurs, d’haubergiers et de brigandiniers. Comme
la ville n’était pas dans le royaume, expliqua Mayneville, il était facile d’y
acheter toutes sortes d’équipements militaires. Les armuriers d’Arras
fabriquaient aussi d’excellentes arquebuses et leur corporation vendait sans
état d’âme aussi bien à l’armée espagnole qu’aux orangistes protestants. Ils ne
posaient aucune condition pour autant qu’on leur baille des pécunes sonnantes
et trébuchantes.
Nicolas Poulain comprit qu’on cherchait à l’évincer.
Il avait bien proposé de se rendre à Besançon acheter casques et cuirasses, mais
comme c’était un voyage de plusieurs semaines, l’idée n’avait pas été retenue. Et
s’il n’avait pas proposé Arras, pourtant plus près de Paris, c’est que les
troubles avaient longtemps fait rage dans la capitale de l’Artois et qu’il
avait jugé un tel voyage trop risqué dans une ville sous influence espagnole. En
effet, quelques années plus tôt, les partisans du calviniste Guillaume d’Orange
avaient pris la ville avec l’aide d’orangistes protestants et demandé la protection
de la France. Le roi de France ayant refusé de s’impliquer, les catholiques
avaient repris le pouvoir et les orangistes avaient fini pendus, sauf leur chef
qui avait eu la tête tranchée avant d’être coupé en quatre quartiers devant la
halle de l’échevinage.
Mais cette guerre civile était terminée et la
ville était revenue sous la domination espagnole, expliqua M. de La
Rochette qui paraissait bien informé. Et avec la fin des troubles, les
armuriers disposaient d’importants surplus qu’ils étaient prêts à céder à bas
prix et sans aucun contrôle.
Pour éviter d’être mis en congé des ligueurs, Poulain
approuva sans réserve la proposition de M. de Mayneville et proposa d’accompagner
l’écuyer de Mgr de Guise. Il reviendrait avec les armes achetées pour la sainte
union et les porterait directement à l’hôtel de Guise.
Les Seize approuvèrent l’idée.
M. de La Rochette lui-même la trouva judicieuse. Bien qu’écuyer du
cardinal de Guise, il n’avait pas une grande expérience dans l’achat d’équipement
militaire et les conseils de Nicolas Poulain lui seraient utiles, dit-il. En
outre, il savait parfaitement qu’il risquait la corde en rentrant en France
avec un convoi d’armes, et voyager avec un lieutenant du prévôt de l’Île-de-France
lui assurerait une certaine sécurité.
Il fut convenu que les deux hommes, accompagnés
d’une petite escorte, partiraient
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