Les Rapines Du Duc De Guise
combien ils
appréciaient leur maîtresse. Malgré sa sévérité, elle était pleine d’esprit et
ils lui racontèrent une anecdote. Après son mariage, la nouvelle épouse du
prince, Françoise de Longueville, avait exigé d’Isabeau de Limeuil qu’elle rende
les cadeaux reçus de son amant. Isabeau n’en avait retourné qu’un : une
superbe peinture de François Clouet représentant Louis de Bourbon qu’elle avait
gâchée en ajoutant à l’encre deux grandes cornes au milieu du front.
Ils rirent tous de bon cœur.
— Monsieur Caudebec, demanda alors
Cassandre, avez-vous connu le prince de Condé ?
— Oui, mademoiselle. J’étais à ses côtés
à Jarnac.
Ils restèrent silencieux un moment, étreints
par l’émotion à ce triste souvenir. Jarnac était une grande défaite de leur cause.
En ce mois de mars 1569, Condé et Coligny dirigeaient une armée de
gentilshommes gascons, périgourdins et poitevins. Près de Cognac, ils avaient
trouvé le duc d’Anjou, c’est-à-dire l’actuel roi Henri III, à la tête de l’armée
catholique. Les huguenots s’étaient établis dans Jarnac alors que l’armée royale
était restée sur l’autre rive de la Charente. Mais dans la nuit, le duc d’Anjou
était passé sur la rive droite. Surpris, Coligny n’avait pu rassembler ses
forces. Par malheur, avant même le début de la bataille, Condé s’était brisé
une jambe. Avec trois cents cavaliers, il s’était heurté à huit cents lances du
duc d’Anjou et avait été pris à revers par des reîtres allemands. Cheval tué, tombé
au sol, il avait levé ses gantelets vers des gentilshommes catholiques qu’il
connaissait pour montrer qu’il se rendait. Mais un des capitaines des Manteaux rouges du duc d’Anjou nommé Montesquiou, sachant la haine que son
maître avait envers le prince, s’était approché au galop en criant « Tue !
Tue ! Mordious ! » et lui avait tiré un coup de pistolet dans la
tête.
Par dérision, le corps du prince avait été
chargé sur un âne et exposé durant deux jours aux quolibets des catholiques. C’est
là qu’Isabeau l’avait revu pour la dernière fois et qu’elle avait prononcé ce
terrible : « Enfin ! »
— Quel genre d’homme était-il ? demanda
Cassandre, en rompant le silence.
Caudebec ne répondit pas tout de suite. Condé
était un homme complexe, parfois brutal et sanguinaire, d’autrefois d’une bonté
extrême.
— Le prince était un soldat, mademoiselle.
Beaucoup le disaient cruel, et il pouvait l’être en effet, ayant rarement pitié
de ses ennemis. Mais vous savez de quel courage il fit preuve à Jarnac. Ayant
eu une jambe brisée par un coup de pied du cheval de son beau-frère,
M. de La Rochefoucauld, non seulement il ne quitta pas le champ de
bataille mais il déclara à ses gens avant de charger : Noblesse
française, voici le moment désiré ; souvenez-vous en quel état Louis de
Bourbon entre au combat !
Chassant ces pénibles souvenirs, il poursuivit :
— Saviez-vous qu’on avait écrit une
chanson sur lui, où l’on évoquait sa courte taille, mais aussi son esprit ?
Caudebec se mit à fredonner :
Ce petit homme
tant joli,
Toujours cause et toujours rit,
Et toujours baise sa mignonne,
Dieu garde du mal le petit homme !
Cassandre se sentit
étrangement émue.
— Cette chanson montre combien il était
aimé… dit-elle.
— En effet, mademoiselle. Pourtant il
était dur, je vous l’ai dit, encore qu’il l’était moins que l’amiral de Coligny.
Moi-même j’y étais attaché, bien que je ne l’aie rencontré que deux fois, ajouta
Caudebec. Il avait vos yeux vifs et un esprit brillant, il aimait plaisanter, et
comme il est dit dans la chanson, il était toujours gai, il aimait plaire, tout
en étant résolu et ardent au combat. C’est un grand malheur pour notre cause qu’on
l’ait assassiné, si lâchement.
— Aimait-il vraiment Mlle de Limeuil ?
— Je l’ignore, mademoiselle. Je sais
seulement qu’ils ont eu un fils, mort peu après sa naissance, et que cela l’a
fort affecté. Il en parlait parfois, m’a-t-on dit, dans ses moments de
mélancolie. Il avait aussi perdu deux enfants de son premier mariage et ces
disparitions assombrissaient son caractère. Après la mort de son épouse, et
avoir délivré Limeuil du couvent où Catherine de Médicis l’avait enfermée, celle-ci
est venue habiter avec lui. Il l’aurait sans doute épousée si la pression de
ses
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