Les Rapines Du Duc De Guise
carrée
recouverte d’un toit pointu. À part les moulins, il n’y avait aux alentours que
quelques rares maisons à pans de bois serrées autour des églises qu’ils avaient
dépassées. En revanche, de l’autre côté du chemin de Saint-Marcel, par où ils
étaient arrivés, Cassandre n’avait vu que des couvents entourés de jardins et d’enclos.
— M. Sardini n’habite jamais en
ville ? demanda-t-elle.
— Non, mademoiselle. Il y a bien un hôtel,
fort beau d’ailleurs, mais Paris est si remuant qu’il préfère sa maison des
champs. Ici, il a quarante hommes d’armes pour la défendre, et il est
suffisamment près de la ville pour recevoir de l’aide s’il était attaqué par
une bande de pillards ou de malcontents, car il collecte aussi des taxes. Il
sait par expérience qu’en cas d’émeute populaire, Paris devient un piège mortel
lorsque les portes sont fermées.
— Et surtout, ajouta Caudebec, il a ici
de solides caves pour protéger ses coffres. On dit même qu’il dispose d’un
souterrain pour disparaître…
Ils contournèrent le bâtiment jusqu’à un pont
dormant débouchant sur un porche avec une porte à deux battants renforcée de
solides barres de fer. Le guetteur avait dû les voir, car à peine arrivés au
pont, les battants s’écartèrent.
Ils pénétrèrent dans une cour et Cassandre
resta émerveillée.
Elle s’attendait à entrer dans une sombre
forteresse comme elle en connaissait tant, avec une basse cour boueuse où
traînaient cochons et volailles sur des tas de fumier. Or ils arrivèrent sur
une place pavée, propre, entourée d’élégantes arcades de pierre et de brique, avec
une claire fontaine gargouillante en son milieu. Le premier étage du bâtiment, érigé
sur les arches, était surmonté d’un second étage bordé de colonnettes. Des
médaillons en terre cuite, représentant des portraits d’hommes et de femmes
illustres, se succédaient entre chaque arcade. Cassandre avait l’impression de
pénétrer dans l’une des plus belles maisons de Montauban [45] .
Elle dissimula un sourire en se souvenant de
ce que son père lui avait dit avant son départ : M. Sardini est
très riche, ma fille, et fait beaucoup d’envieux. En plaisantant sur lui, on
dit à la cour que la petite sardine est devenue une grosse baleine !
Dans la cour vaquait toute une domesticité de
valets, de servantes et d’hommes d’armes casqués de morion à crête et portant
mousquet ou pertuisane. Un officier en long manteau noir, coiffé d’un chapeau
rond, s’approcha d’eux. Le guetteur, en haut de la tour, avait reconnu Hans et
Rudolf, mais il avait aussi annoncé qu’ils n’étaient pas seuls.
— Ce gentilhomme est Mlle Cassandra
Sardini, la nièce de M. Sardini, déclara Caudebec en sautant au sol pour
aider la jeune femme à descendre. Je suis son écuyer.
En dissimulant sa surprise, l’officier s’inclina
devant le « gentilhomme » dont on venait de lui dire qu’il s’agissait
d’une femme et proposa avec déférence :
— Madame, je vais vous conduire à M. Sardini.
Caudebec sur leurs talons, ils traversèrent la
cour pour pénétrer dans le bâtiment principal. Un escalier à l’italienne, à
deux rampes droites séparées par un mur, occupait presque tout le vestibule. Ils
l’empruntèrent jusqu’à une porte au premier palier. L’officier les fit pénétrer
dans une longue salle déserte au plafond à caissons peints et aux murs couverts
de tableaux. Une cheminée centrale chauffait agréablement cette galerie très
lumineuse aux ouvertures encadrées par des colonnettes torsadées. Tout au long
s’alignaient des crédences aux pieds décorés de créatures fabuleuses et sur
lesquelles étaient disposés des vases de faïence multicolores.
À l’extrémité droite de la salle attendaient
un valet et deux gardes porteurs d’épées et de pertuisanes. L’officier dit
quelques mots à l’un des gardes avant de gratter à une porte sculptée. Il
ouvrit quand il entendit l’ordre et fit entrer les visiteurs dans une pièce
faisant l’angle avec la galerie. C’était une chambre encore plus richement
meublée que la longue salle avec un grand lit drapé de satin, plusieurs tables
protégées par des nappes damassées et des dressoirs en noyer ornés de mufles de
lion ou de caryatides. Ces meubles supportaient des pièces d’orfèvrerie ainsi
que des plats et des aiguières émaillées. Les murs étaient recouverts
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