Les Rapines Du Duc De Guise
fidélité, d’autant que Mayenne n’aimait guère son frère
Henri de Guise qu’il enviait pour ses talents. Pourtant, par allégeance envers
sa famille, Charles avait rejoint la Ligue.
Gros, le front bombé, des cheveux très courts,
une face puissante et des yeux pétillants, Mayenne avait un physique d’ogre, malgré
son élégante barbe en éventail. Quand la réunion commença dans la maison de
Charonton, il prit la parole le premier. D’une voix brutale, il demanda où en
étaient les achats d’arquebuses de M. de La Rochette et s’inquiéta
des fonds qui lui manquaient cruellement.
— L’Espagne a promis deux cent mille
livres par an mais n’a toujours pas versé une pistole, annonça-t-il avec colère.
Toute notre fortune passe dans l’achat de reîtres allemands et albanais. Mon
frère a vendu plusieurs de ses domaines et ses dettes s’élèvent malgré tout à
plus de deux millions de livres. Il faut obtenir plus des bourgeois parisiens
et de leur sainte union ! Une guerre contre le roi nous coûtera au moins
cinq cent mille livres par mois !
— Je leur en parlerai, promit Mayneville,
mais vous le savez, l’essentiel de ce qu’ils nous donnent provient de cette
habile opération de prélèvement qu’ils font sur les tailles royales.
— Prélèvement ? ironisa Mayenne. Rapines
plutôt !
Il préférait le pillage par ses soudards
plutôt que cette friponnerie subtile par des jeux d’écriture auxquels il ne
comprenait rien.
— C’est vrai, je voulais vous en parler. Vous
savez que le roi a demandé des vérifications qui auraient pu entraîner la fin
de nos ressources. Pour éviter ce désastre, La Chapelle a fait disparaître le
contrôleur des tailles qui s’en occupait. Malheureusement, nous venons d’apprendre
que son fils a repris son ouvrage à la demande de M. Séguier.
— Faites-le disparaître aussi, répliqua
Mayenne en haussant les épaules.
C’était bien là le genre de réponse du duc, seigneur
féodal brutal pour qui tout obstacle pouvait être levé par la force.
— C’est fort compliqué, monseigneur, tenta
d’expliquer Mayneville, hésitant à contrarier son chef tant il le savait
violent. Ce jeune homme s’est lié à Nicolas Poulain qui achète secrètement des
armes pour nous. Sans le savoir, Poulain a rencontré plusieurs fois l’assassin
du père de Hauteville. Sans doute, n’a-t-il jamais parlé à Olivier des réunions
de la Ligue, puisqu’il a fait serment de garder le secret, mais, s’il le
faisait, s’ils échangeaient des informations sur ce qu’ils savent, ils
découvriraient la vérité.
— Raison de plus pour s’en débarrasser !
ironisa Mayenne.
— Nous avons essayé, monseigneur. Un
sergent de la Ligue a préparé un guet-apens contre eux dans les bois de
Saint-Germain mais a lamentablement échoué.
— Que dites-vous ? gronda
brusquement le cardinal de Bourbon, qui avait tendu l’oreille.
Charles de Bourbon était le cadet d’Antoine de
Bourbon, le père décédé d’Henri de Navarre. Âgé de soixante-deux ans au moment
de notre récit, c’était un homme sans talent, mais sans méchanceté. Il avait
pourtant été chef du conseil sous Charles IX, lieutenant général, et
surtout gouverneur de Paris. Évêque à treize ans, il possédait tant d’abbayes
et de bénéfices qu’il était l’un des hommes les plus riches de France. Il avait
un visage lisse, à l’épaisse barbe grise, au nez bourbonien et au regard triste.
Doux et influençable, mais plus fin que ne le pensaient ses adversaires, son
aspect patelin trompait facilement ceux qui le sous-estimaient. Il avait
rejoint les princes lorrains autant par amitié pour le duc de Guise que pour sa
réelle foi catholique. Il assurait pourtant à son entourage que s’il devenait
roi, il quitterait son sacerdoce, se marierait et aurait des héritiers, car il
assurait en être capable. Une promesse qui ne plaisait pas aux Lorrains.
Compte tenu du caractère placide habituel du
vieil homme, son intervention rageuse surprit l’assistance.
— Vos gens de la Ligue perdent la tête !
menaça-t-il un ton plus haut. Vouloir tuer un lieutenant du prévôt ! Mais
c’est pure folie !
Mayenne dissimula un sourire devant l’irritation
naïve du vieillard, qui n’avait pas encore pris conscience du nombre de crimes
qu’il devrait accepter avant d’arriver au trône ! Encore plus que son
frère Guise, le duc de Mayenne était prêt à se couvrir de
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