Les Rapines Du Duc De Guise
commençait à lui apparaître.
— Savez-vous quel genre de femme j’étais
avant d’épouser celui qui m’a rendu mon honneur ?
Cassandre rougit.
— J’étais une bordelière pour ma tante
Catherine. Je faisais partie de ce qu’elle appelait son escadron volant, que d’autres
désignent sans fard comme le haras de putains. Je baudouinais pour elle, je
haussais la croupière, les hommes s’amourachaient de mes blandisses et n’étaient
plus que des objets dans mes mains. Je l’ai payé cher, mais j’ai réussi à
amener Condé dans le camp du roi. Êtes-vous prête à faire la putain comme moi ?
À vous désaccoutrer dès qu’on vous le demande ? À mugueter et à vous entrefriquer
sans désir pour obtenir ce que vous souhaitez ? À perdre toute pudeur et à
abandonner votre vertu ?
Cassandre baissa les yeux sans répondre.
— J’en étais certaine ! Je ne crois
pas que vous soyez taillée pour cette besogne. Ce n’est pas dans votre nature. Vous
êtes protestante, bien sûr ?
— Oui, madame.
— Rentrez chez vous, mademoiselle, c’est
tout le conseil que je vous donne.
Cassandre releva la tête et planta ses yeux
dans ceux d’Isabeau.
— Je suis venue pour faire cesser le
trafic de M. Salvancy. J’y parviendrai sans sacrifier mon honneur ou ma
vertu.
— Soit ! fit Isabeau en soupirant. Voulez-vous
pourtant quelques conseils d’une femme qui n’a pas oublié ce qu’elle était
capable de faire ?
— Pourquoi pas, madame, s’ils sont
compatibles avec ma conscience.
— Faites-vous inviter par M. Salvancy.
Cassandre rougit à nouveau.
— Non pour ce que vous croyez, reprit
Isabeau, mais plus simplement pour fouiller dans ses papiers. Mon époux vous l’a
dit, il ne peut vous donner l’argent de Salvancy qu’avec ses quittances contresignées
au dos. Donc, pour commencer, il vous faut savoir où elles sont. Pour la
signature, ce sera plus facile, on peut toujours les imiter.
— Comment me faire inviter ? Vous l’avez
dit, M. Salvancy est un grippeminaud. Il se méfiera de moi car il ne me
connaît pas.
— Il vient de se marier et d’aménager
dans une belle maison qu’il loue rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Devenez l’amie
de sa femme, puisque vous ne voulez pas devenir la maîtresse du mari.
— Mais comment les rencontrer ? demanda
encore Cassandre, se laissant guider par l’ancienne fille de l’escadron volant.
— Je peux les inviter à un dîner. Par
exemple, vendredi prochain, pour ma fête, proposa Limeuil.
— Je vous en serais reconnaissante, mais
en supposant qu’ensuite Mme Salvancy me propose de venir la voir, comment
trouver ces quittances chez elle ?
Limeuil soupira, mais cette fois avec un
sourire amical.
— Décidément, vous ne savez rien faire !
Nous n’aurons pas trop de la semaine pour que je vous apprenne un certain
nombre de choses utiles : mentir, tricher, voler…
Cassandre frémit à ce programme, avant de
demander, après un bref silence.
— Pourquoi faites-vous ça, madame ? Pourquoi
voulez-vous m’aider ?
Limeuil abandonna son sourire et son regard
devint vague.
— J’ai eu des enfants, mademoiselle, j’en
ai perdu plusieurs… Il m’en reste quatre…
Cassandre hocha la tête.
— Quand j’ai séduit le prince de Condé, j’obéissais
à la reine, mais j’étais assez sotte pour croire aussi que j’étais utile au
royaume. Je pensais alors qu’il était possible de vaincre les protestants. Vingt
ans plus tard, le pays n’a jamais été aussi déchiré. J’ai assisté à la
Saint-Barthélemy. Je sais ce que les hommes peuvent faire aux hommes… et aux
femmes. Le roi n’aura pas d’enfants et, à sa mort, peut-être avant, nous connaîtrons
à nouveau les pires atrocités…
Elle se tut un instant.
— … Il n’y a pas assez de dépravation
dans mon cœur pour en avoir éteint toute sensibilité. Je ne veux pas perdre mes
fils. Je suis catholique, et vous pourriez penser que je choisirai le camp des
papistes. Mais il n’en est rien. À la cour, il y a quelques hommes près du roi
qui prêchent la tolérance, on les nomme les politiques. Il y en a autant, dit-on,
autour d’Henri de Navarre. J’ai cherché s’il y en avait auprès du duc de Guise
et je n’en ai pas trouvé. Y a-t-il même un seul protestant proche de lui ?
Je ne le crois pas. En revanche, j’ai lu De la vérité de la religion
chrétienne, que votre père a publié, il y a deux ans. S’il
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