Les révoltés de Cordoue
étrangement immobiles, pleurant sur une terre qui
n’appartenait plus à personne, entre l’arrière-garde de l’armée maure et la
vengeance des chrétiens.
— Ils se sont enfuis, expliqua Ubaid à Barrax quand ils
se retrouvèrent à Ugíjar.
À quelques pas de là, Hernando et Yusuf écoutaient la
conversation. Le capitaine corsaire saisit le muletier par sa tunique et le
souleva d’un seul bras en beuglant, rapprochant dangereusement son visage et sa
bouche ouverte du nez de ce dernier.
— Ils se sont enfuis, confirma Hernando d’où il se
tenait.
Barrax se tourna vers lui, sans lâcher le muletier.
— Ça t’étonne tant que ça ? ajouta le garçon avec
insolence.
Le corsaire les regarda l’un et l’autre, plusieurs fois,
avant de projeter Ubaid à quelques mètres de lui.
Abén Aboo établit son camp près d’Ugíjar, où il laissa ceux
qu’il considérait comme des éléments inutiles, obstacles à sa nouvelle
stratégie de guerre de guérillas. De là, il tenta de contrôler ses troupes disséminées
dans les Alpujarras. Barrax et ses hommes revinrent dans le camp maure après
avoir affronté don Juan d’Autriche à Serón. Dans un premier temps, la victoire
avait penché du côté des musulmans ; même le prince n’avait pu empêcher
que ses soldats, avides de butin, attaquent le village dans le plus grand
désordre et soient vaincus. Mais ensuite don Juan avait chapitré ses troupes,
fait une nouvelle tentative et pris le village.
Hernando fut convoqué d’urgence dans la tente du corsaire.
— Soigne-le, lui ordonna Barrax dès qu’il entra. Le
manchot m’a dit que tu t’y connaissais.
Hernando observa l’homme étendu aux pieds de Barrax :
sous sa cuirasse, sa tunique, grisâtre et trempée de sueur, était auréolée sur
un côté d’une grande tache de sang ; sa respiration était irrégulière, ses
muscles contractés par la douleur ; son visage, encadré par une courte
barbe noire, apparaissait crispé. Il devait avoir vingt-cinq ans, estima
Hernando avant de détourner le regard vers l’armure brillante et travaillée du
chrétien blessé, posée à côté de lui.
— Elle vient de Milan, précisa alors Barrax, qui
ramassa le casque et l’examina avec attention. Fabriquée près d’où je suis né,
probablement dans l’atelier des Negrolis. Un cavalier comme ce bâtard de
chrétien, qui porte une telle armure, dit-il en lançant le casque, constituera
une rançon supérieure à tout le butin que nous avons amassé jusque-là. Il n’y a
aucune inscription sur l’armure, essaie de savoir comment ce noble s’appelle et
à qui il appartient.
— Je n’ai soigné que des mules, voulut objecter
Hernando.
— Dans ce cas, tu t’occuperas encore plus facilement
d’un chien. Tu as pris ta décision, nazaréen. Je t’ai prévenu. Tu n’as pas
voulu renier ta religion. S’il meurt, tu l’accompagneras dans la tombe ;
s’il vit, tu seras galérien sur mon navire. Foi de Barrax.
Et il le laissa seul avec le chrétien.
Le cavalier avait été blessé par Barrax lui-même sur le
chemin conduisant à Serón, alors qu’il tentait de protéger des soldats qui
fuyaient dans la débandade. Des centaines de chrétiens morts étaient restés sur
les routes et dans les ravins pendant plusieurs jours avant que don Juan puisse
les faire enterrer, mais le prisonnier noble avait été monté sur un cheval
comme un sac et conduit jusqu’au camp.
Hernando s’agenouilla au côté du cavalier pour examiner la
profondeur de sa blessure. Qu’allait-il faire ? Il essaya de déchirer
délicatement la tunique qui couvrait l’homme, rembourrée de plusieurs couches
de coton pour le protéger du contact de l’armure. Il n’avait jamais soigné un
être humain…
— Il t’a appelé nazaréen.
Les mots, articulés avec peine, le surprirent alors qu’il
tenait le tissu de la tunique entre les doigts.
— Tu comprends l’arabe ? lui demanda Hernando en
espagnol.
— Il a dit aussi que tu n’av… que tu n’avais pas renié
ta religion.
Il respirait à peine. Il voulut se redresser et un gros jet
de sang coula de la blessure sur les doigts d’Hernando.
— Ne parle pas. Ne bouge pas. Tu dois vivre.
« Barrax tient toujours parole », murmura-t-il
pour lui-même.
— Au nom de Dieu et de la Très Sainte Vierge…, râla le
cavalier. Au nom des clous de Jésus-Christ, si tu es chrétien, délivre-moi.
Était-il chrétien ?
— Tu serais
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