Les révoltés de Cordoue
négligence. Comment
avait-il pu tapoter des animaux qui n’étaient pas habitués à ce genre de
traitement ? Le poulain s’appelait Saeta, et son fougueux caractère lui
avait déjà signalé qu’il poserait plus de problèmes que les autres. Hernando s’avança
vers lui et la bête tira fortement sur le licou qui l’attachait au mur.
Attentif à ses pattes, prêtes à ruer une fois de plus, il vint à ses côtés. Là,
immobile, il attendit patiemment que le petit cheval se calme, d’abord sans
dire un mot. Ensuite, dès qu’il cessa de se battre contre ses liens et de
s’agiter, inquiet, dans le petit espace où il se trouvait confiné, Hernando se
mit à murmurer. Pendant un long moment, il lui parla avec douceur, comme il le
faisait avec la Vieille dans les montagnes. Pas une fois il n’essaya de se
rapprocher de lui ou de lui tapoter le cou. Saeta évitait de le regarder, mais
il dressait les oreilles à chaque changement de ton. Ils demeurèrent ainsi un
certain temps. Le poulain ne cédait pas. Il restait obstiné, tendu, la tête bien
droite, sans montrer la moindre intention de la tourner pour flairer Hernando
ou chercher son contact.
— Tu finiras bien par te rendre, conclut Hernando,
décidant que ce n’était pas le moment d’aller plus loin. Et ce jour-là,
continua-t-il en sortant du box, les yeux rivés sur les pattes du poulain, tu
le feras de bon cœur, plus encore que les autres.
— Je suis sûr que oui.
Hernando se retourna, surpris par la voix qu’il venait
d’entendre. Don Diego López de Haro et José Velasco l’observaient. Le noble
avait revêtu ses habits du dimanche : chausses à crevés, de différents
tons de vert, au-dessus du genou ; bas et chaussures en velours ;
pourpoint noir extrêmement ajusté, sans manches, avec une fraise au cou et aux
poignets de la chemise ; pardessus et épée à la ceinture. José, son
laquais, se tenait sur le côté, à quelques mètres derrière le valet d’écurie.
Depuis combien de temps l’observaient-ils ? Avait-il dit quelque chose
d’inconvenant pendant qu’il s’adressait au poulain ? Il se souvenait…
qu’il lui avait parlé en arabe !
— Tu as mal ? demanda don Diego en désignant sa
jambe.
S’ils avaient vu Saeta lui donner le coup… ils avaient tout
entendu depuis le début !
— Non, Excellence, bredouilla-t-il.
Don Diego s’avança vers lui et posa la main sur son épaule
avec familiarité. Mais Hernando était intimidé : il avait récité des
sourates !
— Sais-tu
pourquoi il s’appelle Saeta [8] ?
L’écuyer royal n’attendit pas sa réponse :
— Parce qu’il est rapide et dur comme les flèches, mais
aussi agile et vaillant, qu’il se déplace en soulevant ses pattes comme s’il
voulait toucher le ciel avec ses genoux et ses jarrets. J’attends beaucoup de
ce poulain. Veille bien sur lui. Où as-tu appris à t’occuper des chevaux ?
Hernando hésita… Devait-il lui raconter ?
— Dans la Sierra Nevada, tenta-t-il de se dérober.
Don Diego hocha légèrement la tête, dans l’attente de plus
amples explications.
— Dans les montagnes, seuls les monfíes possédaient des
chevaux, fit-il remarquer devant son silence.
— Avec Ibn… Abén Humeya, se vit-il alors obligé
d’avouer. Je me suis occupé de ses chevaux.
Don Diego approuva. Sa main droite était toujours posée sur
l’épaule d’Hernando.
— Don Fernando de Válor et de Cordoue, reprit-il
doucement. On dit qu’il est mort en clamant sa chrétienté. Don Juan d’Autriche
a ordonné que son cadavre soit exhumé des montagnes et qu’il soit enterré,
chrétiennement, à Guadix.
Le noble réfléchit quelques instants.
— Tu peux te retirer, dit-il finalement. Aujourd’hui,
c’est dimanche. Tu continueras demain.
Hernando détourna les yeux vers les fenêtres : le
soleil commençait à se coucher. Fatima ! Il esquissa une révérence
maladroite et quitta les box rapidement.
Don Diego, toutefois, gardait le regard fixé sur Saeta.
— Je vois beaucoup d’hommes réagir violemment lorsqu’un
poulain leur décoche une ruade ou se défend, commenta-t-il à son laquais sans
le regarder. Souvent ils les maltraitent, les châtient, et tout ce qu’ils
réussissent à faire, c’est à les rendre vicieux. Ce garçon, au contraire, s’est
rapproché de lui tout doucement. Garde un œil sur lui, José. Il sait ce qu’il
fait.
Hernando monta en courant l’escalier qui menait
Weitere Kostenlose Bücher