Les révoltés de Cordoue
laissée là, les mots au bord des lèvres.
Puis il s’était dirigé vers la maison de Jalil ; le vieillard lui avait
promis qu’il lui fournirait ce dont il avait besoin : une bonne épée, une
dague et une arquebuse qu’on lui remettrait, en cachette, sur le chemin de las
Ventas.
— Qu’Allah t’accompagne, Ibn Hamid, lui avait-il dit
solennellement en prenant congé de lui, se redressant autant que le lui
permettait son corps.
Hernando s’était rendu ensuite aux écuries où il avait
cherché l’administrateur. Pendant quelques instants, au cours desquels le Maure
avait expliqué ses intentions, l’homme, derrière son bureau, l’avait
examiné : son visage émacié et des cernes violacés révélaient la nuit
qu’il avait passée sans dormir, pleurant, frappant les meubles et les murs,
clamant vengeance.
— Va, avait murmuré l’administrateur. Trouve le
meurtrier de ta famille.
Ce premier jour, après avoir espéré en vain qu’Ubaid lui
réponde, Hernando obligea Azirat à descendre de la colline. Jusqu’au coucher du
soleil, il avait sillonné des plantations de canne à sucre, franchi des
ruisseaux et grimpé des sommets du haut desquels il avait de nouveau défié
Ubaid. Il avait interrogé les aubergistes, ainsi que les gens croisés sur son
chemin : personne n’avait su lui dire où se trouvaient les monfíes :
cela faisait un moment qu’on n’avait plus aucune nouvelle d’eux.
De retour à Cordoue, il cacha ses armes dans des buissons
afin de pouvoir franchir la porte du Colodro sans problème. Il laissa Azirat
aux écuries, mais avant de rentrer chez lui il se rendit auprès des bancs en
pierre du couvent de San Pablo pour voir si les frères de la Miséricorde
avaient eu plus de chance que lui et avaient découvert les cadavres de sa
famille. Parmi les gens qui lambinaient avec curiosité, animé de sentiments
contraires, il s’approcha des corps qui apparaissaient, décomposés : il
priait pour qu’il y ait ceux des siens, afin de pouvoir les enterrer, mais il
ne voulait pas que cela se passe là, à cet endroit, entouré de chrétiens, de
marchandises volées et d’alguazils, de rires et de plaisanteries.
— Je le trouverai ! Je jure que je le dénicherai,
même si je dois parcourir toute l’Espagne pour cela !
Ce fut tout ce qu’il dit à sa mère quand celle-ci
l’accueillit le soir, avant de s’enfermer dans sa chambre pour souffrir, avec
le parfum de Fatima qui flottait encore à l’intérieur.
Le lendemain, avant même le lever du jour, Hernando se
prépara à partir. Il voulait disposer de toutes les heures de soleil ! Il
rentra à Cordoue les mains vides. Il en fut de même le jour suivant, puis tous
les autres.
Aisha le regardait revenir, vaincu chaque fois davantage. Et
elle pleurait elle aussi en entendant les sanglots provenant de la chambre de
son fils, dans le silence de la nuit. Elle songea une fois encore à lui avouer
la vérité, ne fût-ce que pour le revoir sourire. Mais elle ne le fit pas. Le
regard suppliant de Fatima et la terreur d’envoyer le seul fils qui lui restait
vers une mort certaine, l’en empêchèrent. Elle avait déjà perdu cinq enfants.
Pourquoi Hernando ne surmonterait pas lui aussi ce malheur ? Les enfants
mouraient par centaines avant d’atteindre la puberté. Quant à Fatima… Il
rencontrerait sûrement une autre femme. De plus… Aisha avait peur ; elle
avait peur de rester seule.
Hernando continua à se rendre dans les montagnes, chaque
jour plus amaigri ; il ne parlait plus, ne clamait même plus vengeance !
La nuit, on entendait seulement le murmure de ses constantes prières.
« Il s’en remettra, se disait Aisha. Il a un bon
travail, se répétait-elle pour tenter de se convaincre. Et il est bien
considéré. C’est le meilleur dresseur des écuries du roi ! Abbas le dit,
tout le monde l’affirme. Il y a des dizaines de filles jeunes et saines qui
seraient prêtes à se marier à un homme comme lui. Il retrouvera le
bonheur. »
Mais au bout de vingt jours, elle comprit que cet
acharnement allait détruire la vie de son fils, qu’il n’abandonnerait jamais.
Devait-elle lui raconter la vérité ? Aisha éprouva une angoisse
insupportable ; ses genoux tremblaient. Non seulement elle l’avait trompé,
mais elle l’avait laissé se torturer pendant tout ce temps. Comment réagirait
Hernando ? C’était un homme, un homme devenu fou. S’il ne la frappait pas,
comme il la haïrait !
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