Les Roses De La Vie

comme nonnette, je ne sais que penser. Convient-il véritablement à
votre robe de me tenir un propos pareil ?
    — Madame, dit Richelieu avec un léger sourire, s’il
vous effarouche, je le retire. Toutefois, ce n’est point parce qu’on est prêtre
qu’on doit renoncer à admirer les beautés que le Créateur a mises en la
compagne de l’homme et qui chez vous sont telles et si grandes, et si diverses,
qu’il faudrait être un barbare ou un Turc pour ne les point louer.
    Ces paroles si caressantes, mais articulées toutefois avec
la retenue qui convenait à un homme d’Église, donnèrent tant de joie à Madame
de Guercheville qu’elles lui inspirèrent le désir de faire à son tour plaisir à
l’évêque de Luçon et qu’elle alla beaucoup plus loin dans la confidence qu’elle
ne serait allée sans cela.
    — Ah Monseigneur ! dit-elle, emportée par son bon
naturel, comme je comprends, à vous écouter, la grande estime en laquelle ma
maîtresse vous tient ! Vous êtes si aimable et vous avez tant
d’esprit ! Vous ne sauriez croire avec quelle impatience Sa Majesté
attendait les lettres-missives que vous lui écrivîtes d’Avignon et combien de
fois elle les a lues et relues !
    Ces paroles furent une délicieuse musique aux oreilles de
Richelieu. Il jugea que l’entretien avec la reine s’annonçait bien et ne
regretta pas le soin qu’il avait pris et qui lui avait si peu coûté de
toiletter au passage la bonne opinion que Madame de Guercheville avait de lui.
    La reine-mère, de son côté, avait fait des frais pour le
recevoir. Richelieu le vit du premier coup d’œil, son œil vif n’ayant pas
failli à remarquer qu’elle portait à son poignet droit le bracelet de diamants
qu’elle avait acheté au début de son règne et qui valait quatre cent mille
livres : somme si exorbitante qu’Henri IV n’avait jamais voulu la
payer, tant est que Marie de Médicis dut régler pendant des années les intérêts
énormes de cette dette, ne pouvant la rembourser qu’après l’assassinat du roi,
quand elle put mettre enfin la main sur le trésor de la Bastille. Elle ne
portait ce bracelet, unique en Europe, que dans de grandes circonstances et
celle-ci, apparemment, en était une pour elle.
    — Madame, dit Richelieu, vous avez devant vous le plus
heureux de vos serviteurs, puisqu’il a l’honneur et le bonheur de vous revoir.
    Ayant dit, il mit un genou à terre et baisa le bas de sa
robe. Cette salutation était protocolaire, s’agissant d’une reine de France,
mais Richelieu y mit une sorte de ferveur et appuya ses lèvres sur le satin
plus longtemps qu’il n’était coutumier, puis, se relevant et courbant la tête,
il dit d’une voix grave :
    — Madame, les jours que je suis demeuré loin de vous me
parurent des siècles, tant est grande la passion que j’ai à vous servir. Mais
enfin, Madame, je vous vois et rien à cette minute ne saurait surpasser le
bonheur que j’en éprouve.
    « Les jours qui parurent des siècles » et
« le bonheur insurpassable de la servitude », c’était bien là le
langage de l’amour qu’on peut lire dans L’Astrée. Et Richelieu
l’employait sans vergogne aucune, tout chaste qu’il fût.
    Il avait alors trente-quatre ans et la reine-mère en avait
quarante-six et paraissait, de reste, plus que son âge, ayant excessivement
ajouté à son poids et à ses rondeurs pour avoir trop aimé la chère et la
sieste. À son arrivée en France, peintres et poètes, pour qui toute princesse
est belle, avaient célébré ses charmes et il était vrai qu’alors, elle était
éclatante de vigueur et de fraîcheur, mais toutefois plus attrayante de corps
que de visage, lequel, avec la mâchoire prognathe héritée des Habsbourg, un
long et gros nez relevé du bout, un front têtu, des yeux où l’esprit ne
brillait qu’à feu petit et surtout un air maussade, n’était pas des plus
aimables. Mais aimable et aimante, Marie l’était fort peu, ayant vu sans une
larme mourir son petit Nicolas et partir sa fille aînée pour son exil espagnol
sans grand émeuvement. Toutefois, étant, du fait de sa confuse cervelle,
aveugle et tâtonnante en ses conduites, elle s’était, sa vie durant,
successivement attachée à des personnes qui avaient assez d’esprit pour lui
prêter des lumières et éclairer son chemin : la Galigaï, sa compagne
d’enfance, Barbin, son intendant, et Richelieu. Or, la Galigaï avait péri sur
le bûcher, le roi avait