Les Roses De La Vie
d’Épernon, celle du Ruccellaï et celle d’un tertium
quid, Chanteloube, un peu moins fol que les deux précédents, mais tous
trois aspirant à jouer le rôle de Concini auprès de la reine-mère et ne pouvant
souffrir la grandissante place que Richelieu occupait en ses faveurs.
N’ayant pu acculer Richelieu au départ, le Conseil décida, à
la quasi-unanimité, de demander derechef à la reine de l’exclure de leurs
rangs. Marie y vit une offense et une offense répétée à son autorité. Elle se
rebéqua. Plus on voulait détacher d’elle Luçon, plus elle l’attacherait à
elle ! Ses colères, du temps même du feu roi, ébranlaient, les murs du
Louvre et même en présence du souverain, elle ne les dominait pas, l’entêtement
étant un trait majeur de sa personnalité. « Entière comme vous l’êtes, lui
dit un jour Henri IV, en y mettant des formes, pour ne pas dire
obstinée, Madame, et votre fils l’étant tout autant, il ne se peut que vous
n’ayez un jour maille à partir avec lui. » Phrase que j’ai retenue
dans la gibecière de ma mémoire pour ce qu’elle prouvait que ce grand roi
jugeait si pertinemment du présent qu’il pouvait en augurer l’avenir. Et cet
avenir, nous y étions meshui à plein, comme bien le montrait cette guerre
contre nature entre la mère et le fils.
À peine le Conseil ce jour-là émit-il le vœu que j’ai dit
contre Richelieu que Marie s’enflamma et, fort sourcillante, lui parla avec les
grosses dents, pis même, oubliant dans son ire son français, elle les rebuffa
en italien.
— Signori, è il colmo ! E effettivamente il
colmo ! Voi avete prima voluto che Richelieu non entrasse nel Consiglio.
Poi, voi avete voluto che entrasse ! Etara, voi esigete che lui
esca ! Signori, quelle banderuole è voi dunque [30] ?
Richelieu eut grand mal à convaincre la reine que des
négociations avec les envoyés du roi étant en cours, il valait mieux suivre que
contrarier l’humeur changeante de son Conseil, et quant à lui, n’y pas remettre
les pieds, puisque de toute façon il n’aurait pu s’y faire ouïr, vu que déjà
les conseillers ne s’entendaient pas entre eux, ce fol de Ruccellaï tirant à
boulet rouge contre d’Épernon et d’Épernon, en ses fureurs, rêvant de le faire
bâtonner. En revanche, Richelieu voyait tous les jours les négociateurs du
roi – hommes de sens et de poids qui tenaient le langage de la raison –,
comme Monsieur de Béthune, le père de Bérulle (fondateur célèbre de l’Oratoire)
et le cardinal de La Rochefoucauld, dès qu’il fut arrivé, le dix-neuf avril.
Il m’amenait dans sa suite, comme on sait, à ma grande
satisfaction, car à peine débotté, j’ouvris grandes mes oreilles en tous les
lieux où je pouvais recueillir des lumières sur ce qui s’était passé en ce
château, que le père Joseph avait si justement appelé « la cour du roi
Pétaud ».
Fruit de concessions réciproques, le traité entre la mère et
le fils prenait tournure et l’annonce que l’armée de Monsieur de Schomberg,
après la prise d’Uzerches, s’approchait d’Angoulême, acheva de le mûrir. On
conclut enfin. La reine-mère renonçait à son gouvernement de Normandie, lequel
peu lui avait profité depuis son exil, puisqu’elle était serrée à Blois. Elle
recevait en échange l’Anjou avec Angers comme capitale et deux villes qui
n’étaient pas petites : Chinon et les Ponts de Cé. Quant à d’Épernon, il
était pardonné de sa rébellion.
Les négociateurs eurent un mouvement de surprise lorsqu’ils
apprirent que la reine-mère exigeait que le roi, aux termes du traité, lui
versât une somme de six cent mille livres à titre de compensation pour les
frais qu’elle avait encourus en s’évadant de Blois.
Richelieu sentit ici les limites de son génie et de sa
séduction car, en dépit de ses plus tendres remontrances, et quelque effort que
fit sa suave dialectique, il n’ébranla pas Marie et ne réussit pas à la faire
renoncer à une exigence qu’elle était bien la seule en ce royaume à trouver
légitime. Les négociateurs du roi, après s’être entre-regardés un moment,
cédèrent avec d’insaisissables sourires et inscrivirent ces six cent mille
livres parmi celles des clauses du traité dont ils pensaient in petto qu’elles ne seraient pas respectées. Ils ne se trompaient pas. Jamais Louis ne
consentit à verser une telle somme à sa mère. Il aurait eu le sentiment de
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