Les Roses De La Vie
la
remercier pour lui avoir désobéi en le contraignant à lever trois armées pour
la ramener dans son devoir.
Richelieu réussit à persuader la reine, non sans raison,
qu’elle se tirait à bon compte de son escapade et que sa situation s’était même
améliorée. Malgré qu’elle eût reçu à Blois les apparences du pouvoir, elle
était, en fait, très resserrée et quasi prisonnière, alors qu’elle allait
régner maintenant sur une province entière et trois villes. Elle témoigna sa
gratitude à Richelieu en faisant de lui son chancelier et en priant le roi de
demander pour lui au pape le chapeau de cardinal. En outre, elle donna à un des
fidèles de Luçon, Bettancourt, le gouvernement des Ponts de Cé, et à son frère
le marquis de Richelieu, celui d’Angers.
Ces nominations qui portaient l’influence de Richelieu à son
comble à la cour de la reine-mère furent, par une amère ironie de la fortune,
l’occasion pour lui d’une extrême affliction. Le marquis de Thémines, capitaine
aux gardes de la reine, qui l’avait fidèlement servie au Louvre, et suivie dans
son exil à Blois, se sentit fort offensé de ne pas recevoir, en récompense de
ses services, le gouvernement d’Angers. Homme rude et de primesaut, il
s’échappa, dans le premier moment de sa déception, en paroles injurieuses.
« Foutre des gouverneurs ! dit-il, ils ruinent cette pauvre
princesse. »
Par malheur, ce propos fut répété. Le marquis de Richelieu
appela Thémines sur le pré. Bien que le rendez-vous fût éventé et que la reine
tâchât d’accorder les adversaires, la réconciliation ne fut qu’apparente. Les
deux adversaires ne cessèrent, les jours suivants, de se chercher. La rencontre
eut lieu le huit juillet 1619 au pied de la citadelle d’Angoulême.
« Marquis ! s’écria le marquis de Richelieu, en apercevant Thémines à
cheval, pied à terre ! Il faut mourir ! » Comment aurait-il pu
prévoir que cette phrase terrible, au moment ou il la prononça, allait s’appliquer
à lui-même ? Quelques instants plus tard, l’aîné de Richelieu tombait, le
cœur traversé par la lame de son adversaire.
Ce deuil, s’il affligea l’évêque de Luçon, ne diminua pas
son pouvoir dans la maison de la reine ; en un sens même, il l’augmenta.
Car Marie de Médicis nomma gouverneur d’Angers l’oncle de Richelieu, le
commandeur de la Porte et Thémines ayant mieux aimé se retirer du théâtre de
son triste exploit, il dut vendre sa charge de capitaine aux gardes au
beau-frère de notre évêque, le marquis de Brézé.
Un peu plus tard, en septembre 1619, Richelieu fit donner à
Michel de Marillac l’intendance de la Justice en Anjou, à Claude Bouthillet, le
secrétariat des Finances et à son frère, Sébastien Bouthillet, la charge
d’aumônier de la reine. À part Marillac, trop grand esprit et trop grand
caractère pour être corps et âme éternellement dévoué à Richelieu, tous ceux
qui, en Anjou, détenaient une parcelle de pouvoir, étaient soit les parents,
soit les créatures de l’évêque de Luçon.
Cependant, l’influence de Richelieu sur la reine n’était ni
absolue ni incontestée. Ruccellaï s’étant réfugié à la cour du roi, et
d’Épernon se cantonnant en son gouvernement d’Angoulême, le seul opposant
majeur à la politique du roi était Chanteloube, partisan d’une politique dure
vis-à-vis de Louis. Il gardait de fortes positions au Conseil et avait, sinon
l’oreille de la reine-mère, du moins celle de ses deux oreilles qui, se fermant
par instants à la sagesse de Richelieu, accueillait volontiers, à titre de rêve
ou de projet, la violence et la revanche.
CHAPITRE IX
J’ai souvent eu l’occasion de débattre avec mon père et La
Surie des circonstances qui, après le traité d’Angoulême et l’apparente réconciliation
qui s’ensuivit entre Louis et Marie de Médicis, conduisirent, moins d’un an
plus tard à une deuxième guerre entre la mère et le fils, celle-ci plus grave
que la première, pour la raison que plusieurs Grands de ce royaume s’enrôlèrent
sous la bannière de Marie et qu’il fallut, à la parfin, en découdre.
Je me ramentois que La Surie soutenait que, de toute façon,
cette deuxième guerre était inévitable, le ressentiment de Louis à l’égard de
sa mère étant si profond depuis ses maillots et enfances et sa mère étant
possédée d’un si intraitable orgueil et d’une telle déraison qu’elle
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