Les Roses De La Vie
le même temps. C’est ainsi que
me baillant un jour les grandes lignes d’une lettre qu’il m’avait prié d’écrire
en allemand à un prince luthérien, il utilisait le temps que je mettais à
coucher ce qu’il m’avait dit sur le papier, à dicter à Charpentier, son
secrétaire à la main, des précisions sur la « drôlerie des Ponts de
Cé », et les raisons de la défaite rapide et radicale qu’y subirent les
forces des Grands. Cette analyse me parut si claire et si convaincante, et elle
montrait aussi une intelligence de la guerre si étonnante chez un prélat que je
ne laissais pas de l’écouter, ralentissant même ma traduction allemande pour
qu’il pût l’achever. Le cardinal ne faillit pas de s’apercevoir de mon manège,
mais il ne le releva pas, étant fort conscient de ses grands talents, et ne détestant
pas qu’on les admirât.
Si bien je me ramentois ce qu’il dit alors, il critiqua à la
fois la préparation du combat et son déroulement. Selon lui, la première erreur
du duc de Vendôme fut de faire creuser un retranchement de deux lieues de long
entre Angers et les Ponts de Cé. Ce fossé lui paraissait d’une longueur
excessive, de prime parce qu’il était fort peu probable qu’on eût le temps de
le creuser en son entièreté avant l’arrivée de l’armée royale et ensuite parce
qu’on n’avait pas assez d’hommes pour le garnir. Il eût mieux valu, d’une part,
fortifier les murs d’Angers, et d’autre part, faire un bon retranchement, mais
seulement à la tête du pont de Cé.
Les rebelles disposaient de quelques centaines de chevaux et
le duc de Vendôme en bailla le commandement à son frère le Grand Prieur, lequel
attendit que son aîné lui donnât l’ordre de charger. Or cet ordre ne vint
jamais. Tant est que cette cavalerie, qui était pour le moins aussi forte que
la cavalerie du roi, ne servit à rien. Il est vrai que le Grand Prieur eût pu
intervenir de soi quand les choses tournèrent mal pour l’infanterie.
Apparemment, il n’y pensa pas.
Mais l’élément, assurément, le plus décisif de la défaite
fut la défection, pour ne pas dire, la trahison du duc de Retz. Dès qu’on
annonça que les troupes du roi avançaient, il sauta à cheval et avec toutes les
apparences de la vaillance, il alla seul les reconnaître. Mais à son retour, le
courage laissa place à la colère et jurant et tempêtant, il clama à tous échos
qu’on les voulait sacrifier sur le terrain alors même que dans les murs on
traitait la paix : parole qui contenait une part de vérité et qui n’était
pas faite pour remonter les cœurs de ceux qui l’oyaient. Ayant dit, il rappela
ses troupes des tranchées qu’elles occupaient et leur faisant tourner casaque,
il traversa à leur tête, à brides avalées, la ville des Ponts de Cé et
disparut. Ces forces se montaient à mille cinq cents hommes, ce qui diminua
d’un tiers les forces des rebelles.
Quelle ne fut pas la stupéfaction des éléments avancés de
l’armée royale quand ils virent sous leurs yeux se dégarnir de fusils et de
baïonnettes une partie importante du retranchement qui leur faisait face. Ils
en avertirent aussitôt le maréchal de Créqui qui attaqua alors avec vigueur,
semant chez les ennemis la confusion et presque la déroute.
Le duc de Vendôme prit alors une décision admirable. Sans
donner l’ordre à sa cavalerie de charger, sans prévenir ses officiers, il sauta
à cheval, gagna au galop Angers et pénétrant dans les appartements de la reine,
annonça le premier la déroute de ses troupes, en s’écriant sur le ton de la
tragédie :
— Madame, je voudrais être mort !
À quoi sa fille, qui conversait avec la reine, eut cette
réponse terrible :
— Monsieur mon père, si vous eussiez eu cette volonté,
vous n’eussiez pas quitté le lieu où il le fallait faire.
CHAPITRE X
— Monsieur, un mot de grâce !
— Belle lectrice, je vous ois.
— Vous avez dit que le duc de Longueville fut pardonné.
— Assurément.
— Et les autres ducs ?
— Quand la rébellion éclata, on les déclara tous
coupables de lèse-majesté et on les déchut de leurs gouvernements respectifs.
Mais après leur défaite des Ponts de Cé, quand ils eurent demandé pardon au
roi – à un ou deux genoux, selon qu’ils se sentaient plus ou moins
coupables…
— Monsieur, qui demanda pardon à deux genoux ?
— D’Épernon. Sans doute, parce qu’il avait
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