Les Roses De La Vie
la mère et du fils,
et les ministres, il va sans dire, étaient unanimes à préférer le second au
premier, conseillant au roi de demeurer en Paris et non pas de s’enfoncer dans
une province révoltée et d’affronter « un parti puissant et
audacieux ».
Ces arguments qui, à vue de nez, paraissaient sensés,
reposaient sur une analyse tout à plein erronée de la situation. Les rebelles
ne constituaient pas un parti puissant. Ils étaient, bien le rebours,
profondément divisés. Et les provinces n’étaient pas révoltées contre le
pouvoir royal. Seuls leurs gouverneurs l’étaient. Et ceux-là, on ne les voyait
que rarement en leurs gouvernements car ils n’y venaient que pour y lever
pécunes, demeurant le reste du temps à la Cour à Paris. En conséquence la
bourgeoisie qui occupait toutes les fonctions civiles, ou prospérait dans le
commerce, et d’autre part, le peuple qui aspirait à sa tranquillité, n’avaient
aucune envie de subir, pour l’amour d’un grand seigneur, le plus souvent
absent, les rigueurs et les incommodités d’une guerre contre le roi.
Quant à « l’audace » du « parti
puissant », elle était toute velléitaire, s’évanouissait, on l’avait déjà
vu, dès que parlait la poudre. Elle n’existait en fait que dans l’imagination
apeurée des ministres barbons.
Luynes opina comme eux, ce qui ne m’étonna guère, sa
pusillanimité étant irrémédiable.
Quand tous les conseillers eurent opiné, le roi ne mit pas
aux voix : il trancha.
— Parmi tant de hasards qui se présentent à nous,
dit-il sans bégayer le moindre, il faut marcher aux plus grands et aux plus
prochains, et c’est la Normandie. Je veux y aller droit et n’attendre pas à
Paris d’être en proie et mes fidèles serviteurs, opprimés. J’ai grand espoir
dans l’innocence de mes armes. Ma conscience ne me reproche aucun manque de
piété à l’égard de la reine-mère, ni de justice à l’égard de mon peuple, ni de
bienfaits à l’égard des Grands de ce royaume. Par conséquent, allons !
Avec quelle frémissante joie je retrouvais là le
roi-soldat ! Son père n’avait pas parlé autrement quand les Espagnols des
Pays-Bas lui avaient pris Amiens par surprise et qu’il décida, en un battement
de cil, de leur courir sus. Toutefois, le recours au jugement de Dieu, au nom
de son innocence, ajoutait chez Louis une note personnelle. Non que
l’invocation à la divinité fût absente des discours d’Henri IV, mais chez
le renard du Béarn, comme disaient les ligueux, elle relevait davantage de la
politique que de la piété. Chez son fils, c’était tout l’inverse. Sa sincérité
en ce domaine était adamantine.
Avec peu d’hommes, six mille ou huit mille, je ne saurais
trancher, le roi alla droit en Normandie. En outre, il y alla vite, car parti
de Paris le sept juillet, il arriva le neuf devant les murs de Rouen.
Le lecteur se ramentoit que le duc de Longueville, seul de
tous les Grands, n’avait pas gagné la cour de la reine-mère à Angers, mais
était demeuré en Normandie. Cela faisait augurer qu’il serait fidèle au sang
qui coulait dans ses veines, lequel était aussi celui d’un héros, fameux,
Dunois, bâtard d’Orléans, compagnon valeureux de Jeanne d’Arc. Hélas ! il
n’en fut rien ! Le sang ne traverse pas les siècles.
Le huit juillet, les fourriers du roi arrivaient à Rouen
pour marquer les logis qu’il faudrait pour le roi et ses troupes. On leur fit
bon accueil, et le duc de Longueville, apprenant d’eux que le roi serait là le
lendemain, dit tout uniment :
— Dans ce cas, je n’ai qu’à lui céder la place.
Sur ces mots il s’enfuit et se réfugia à Dieppe. Tout le mal
qui lui advint dans la suite fut d’être pardonné quand les armes se turent. On
lui garda même – privilège concédé par Charles IX, en souvenir du
bâtard d’Orléans – le rang intermédiaire entre les princes royaux
et les ducs et pairs qui lui permettait, s’il passait après les premiers, de
passer du moins avant les seconds.
Belle lectrice, je ne vous cacherai pas qu’un peu plus de
quinze ans plus tard, moi-même devenu barbon, je portais grande envie à ce duc
de peu de mérite quand son rang lui permit d’épouser en secondes noces
Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, la fille de ce petit Condé souffreteux que
Louis débastilla et qui, après avoir donné naissance à celui qui deviendra le
Grand Condé, bailla le jour, chose plus
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