Les Roses De La Vie
surprenante encore, à une des beautés
du siècle.
Car telle était, sans contredit, Anne-Geneviève de
Longueville. Le cardinal de Retz, qui s’y connaissait en femmes, a dit d’elle
un jour « qu’elle avait une langueur dans les manières qui touchait plus
que le brillant de celles mêmes qui étaient plus belles ». Rien n’est plus
juste, j’en peux porter témoignage, et je peux ajouter que ce n’était point une
langueur affectée, mais naturelle et saillant des profondeurs de sa disposition.
Je l’ai vue, entourée de gentilshommes, les envisager tour à tour avec un
regard noyé et des lèvres entrouvertes, lesquelles donnaient à ces messieurs
une irrésistible envie d’entrer dans sa couche et d’y demeurer à jamais.
Au cours des ans, à vrai dire, Anne-Geneviève y admit plus
d’un et à réfléchir sur sa vie, on ne peut qu’admirer l’émerveillable diversité
qu’on y observe, car elle fut grande précieuse en l’hôtel de Rambouillet,
grande frondeuse sous la Fronde, grandissime galante jusqu’à quarante ans et
grande repentie le reste de ses jours. C’est une femme, disait La Surie, qui ne
faisait rien à moitié.
Rouen prise, le roi déchut Longueville de son gouvernement,
mais le lui rendit plus tard, quand il vint à résipiscence, et il réunit son
Conseil, lequel, Luynes compris, lui déconseilla fortement de s’attaquer à Caen
qui était aux mains des rebelles, le Grand Prieur ayant placé là son
précepteur, Monsieur Prudent, pour organiser la défense.
Celui à qui on avait baillé cette charge de Grand Prieur, si
honorable, si bien pensionnée et si peu ecclésiastique, n’était autre que le
chevalier de Vendôme, avec qui, en sa dixième année, Louis avait lié une amitié
si vive que la reine-mère, en ses ombrages, avait pris soin de la briser en
envoyant le pauvre chevalier au diable de Vauvert, c’est-à-dire à Malte, dans
l’ordre qui porte ce nom. Toutefois, quand il en revint, l’amitié du roi pour
lui ne se renoua pas, le jouvenceau étant devenu, comme son frère aîné, le duc
de Vendôme, insufférablement arrogant.
Louis, une fois de plus, passa outre à la timidité de son
Conseil et de Luynes et décida de marcher sur Caen. À cette nouvelle, le Grand
Prieur leva quelques troupes pour se jeter dans la place, mais parvenu sous ses
murs, le cœur lui manqua et, n’ajoutant rien au renom de sa lignée, il se
retira à brides avalées. Quant à Prudent, qui tenait la ville à sa place, il ne
fit pas mentir son patronyme et, dès que le roi se présenta sous ses murs, il
lui ouvrit les portes.
En même temps qu’il accourait en Normandie pour ressaisir
Rouen et Caen, le roi avait envoyé à la reine-mère à Angers quatre négociateurs
de qualité : les ducs de Montbazon et de Bellegarde, l’archevêque de Sens
et le président Jeannin, surintendant des Finances. Toujours excessif, le duc
de Vendôme tenait à crime qu’on les admît dans les murs et ne parlait de rien
moins que de les faire prisonniers ou à tout le moins de les renvoyer au roi.
Mais Richelieu persuada la reine que renvoyer des personnages de si grande
considération serait faire une très offensante écorne, et à eux et au roi. Et à
la parfin, elle décida de les laisser venir. À peine furent-ils en Angers que
le Grand Prieur de Vendôme arriva quasiment sur leurs talons, annonça à la
reine-mère la nouvelle de la prise de Caen, laquelle assombrit tous les
esprits. Les jours suivants, les courriers apportèrent des nouvelles moins
réjouissantes encore. Les troupes du roi s’avançaient vers Le Mans, ville
loyaliste, et ce n’était là qu’une étape pour marcher sur Angers.
Tardivement, on pensa alors à se fortifier. Le pont de Cé,
qu’il est coutumier de nommer au pluriel, est l’unique pont qui entre Nantes et
Amboise permettait de franchir la Loire. Il était donc aussi important pour le
roi de le conquérir que pour la reine-mère de le défendre. Le roi, sans sa
possession, ne pouvait passer au sud de la Loire pour pacifier le reste de son
royaume et la reine-mère ne pouvait sans lui accueillir les renforts qu’elle
espérait recevoir de l’Angoumois. Ces renforts étaient ceux que le duc du Maine
et le duc d’Épernon étaient censés rassembler pour elle.
Quand j’eus le privilège de mieux connaître Richelieu, une
des choses que je trouvais les plus singulières chez lui fut son extraordinaire
aptitude à traiter deux ou trois affaires dans
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