Les Roses De La Vie
sans
fiel » !
— Mais qu’en est-il de la comtesse d’Orbieu, mon père,
la connaissez-vous ?
— De nom : elle vit très retirée, mais, Monsieur
mon fils, y a-t-il apparence que Louis ait fait le projet de vous marier comme
pucelle au couvent sans consulter votre goût ? Et qui pis est, avec une
femme qui aurait passé l’âge canonique et ne pourrait, par conséquent, vous
bailler une progéniture ? Cela n’a pas de sens ! Venez ! Passons
à table ! Votre assiette s’ennuie.
— La mienne aussi, dit La Surie en prenant place dès
que mon père et moi-même fûmes assis. Cependant, poursuivit-il, m’est avis,
Chevalier, que auriez grand tort de ne pas épouser une femme d’humeur
escalabreuse.
— Comment cela ?
— Savez-vous ce que répondit Socrate à un quidam qui
lui demandait pourquoi, ayant une épouse acariâtre, il ne la répudiait
pas ? « Oh que non ! dit Socrate. Je ne puis m’en séparer. Elle
est précieuse : elle exerce ma patience. »
À quoi, malgré la noire humeur dans laquelle m’avait plongé
Bassompierre, je me mis à rire, mais sans que ce rire levât tout à plein les
appréhensions qui m’agitaient en mon for à l’idée de ce funeste mariage.
De la rue du Champ Fleuri à la rue du Chantre, il n’y a que
quelques pas à faire, vu que si la cour de notre hôtel s’ouvre sur la première,
notre jardin donne sur la seconde. L’Auberge des Deux Pigeons, en la rue
du Chantre, jouxte quasiment notre hôtel et n’est point auberge mesquine,
malpropre et mal famée. Les personnes de qualité qui sont de passage en Paris,
peuvent y prendre repue sans dévoiement de ventre et y dormir sans être
dévorées des punaises. Il m’arrive d’y dîner, quand je suis las des potages que
me fait mon Robin dans mon appartement du Louvre et quand, comble de malheur,
mon père est parti pour sa seigneurie du Chêne Rogneux à Montfort l’Amaury en
emmenant avec lui le cuisinier Caboche.
Mais plus même que l’auberge, l’alberguière me plaît. On
l’appelle la Doucette, et jadis vivandière, elle conquit de vive lutte (car
elle n’était point la seule vivandière en ce régiment) un beau capitaine qui la
combla de dons avant d’être occis en l’une de nos guerres. Après quoi, elle se
retira des armées, épousa un quidam qui avait du bien et s’appelait Serrurier
et, avec lui, ouvrit cette auberge.
La Doucette était une petite brune, mince, rondie, vive,
frisquette, bon bec à la repartie et bon cœur aussi. Chose étrange, elle
n’avait point été fidèle en la guerre à son beau capitaine et l’était en la
paix revenue à son vilain époux. Mais se peut que ce Serrurier-là avait su
mieux que le capitaine lui ouvrir le cœur.
À l’entrant, je la baisai sur les deux joues, façon qu’elle
tolérait parce que, disait-elle, elle m’avait connu « enfant », ce
qui n’était point tout à fait vrai, car j’avais déjà treize ans quand elle
ouvrit son auberge, et l’œil déjà effronté, sinon les mains.
— Dame de céans, dis-je en la tirant à part, je veux
voir Monsieur Tronçon.
— Il n’est point céans, dit la Doucette en rougissant.
— M’amie, dis-je, on ne saurait mentir avec une peau
aussi fine que la vôtre. Tronçon est céans bel et bien.
— Il n’est point là, dit-elle, très rebéquée.
— Il se cache dans l’une de vos chambres.
— Nenni.
— Oui-da !
— Je dis nenni, dit la Doucette qui à cet instant
n’avait pas l’air si doux.
— Et moi, je dis que si ! M’amie, vous contrevenez
à l’avis du roi qui défend de recevoir ès auberge parisienne des personnes
domiciliées en Paris. Ceci pour éviter les adultères, les bougreries, les
débauches et autres vilainetés.
— Ces saletés-là ne se font point chez moi ! dit
la Doucette avec les grosses dents.
— Je le crois. Mais Tronçon est chez vous. Je le sais.
Il y est. Et sans que vous ayez enregistré son nom, ni envoyé copie, et pour
cause, au lieutenant civil, comme l’édit vous en fait un devoir.
Ce coup-là était un peu hasardeux, mais par bonheur, il
toucha cible.
— Le devais-je laisser périr sur le pavé ? dit la
Doucette en baissant la voix. Je l’ai recueilli. Si c’est là péché, je le
confesse.
— Et pour ma part, je le remets. Mais sur un point je
serai adamant : je le veux voir.
— Cela ne se peut.
— Cela se fera.
— Monsieur Tronçon est couché et mal allant. Il ne veut
voir
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