Les Roses De La Vie
Où voulez-vous courre
si vite ? Ne dirait-on pas que, tel Diogène avec sa lanterne, vous
cherchez partout un homme. Cet homme a-t-il un nom ?
— Tronçon, dis-je, sachant qu’il le savait fort bien.
— Qu’est cela ? dit-il en levant haut le sourcil.
Tronçon ? L’illustre Tronçon ? Mon ami, allez-vous être
tronçonné ?
— Je ne sais. Louis m’a dit de l’aller trouver et je le
cherche.
— Mais comme vous savez, Chevalier, la tronçonnade a
deux tranchants, l’un heureux et l’autre malheureux. Qu’en est-il en ce qui
vous attend ?
— Je ne saurais dire.
— Bien le rebours, vous le savez fort bien. Et c’est
pitié, car je me préparais à vous dire où se trouve Tronçon, mais vous voyant
si boutonné en votre secret et montrant si peu de fiance en un vieil ami, je ne
vous veux point bailler cette information, mais vous la vendre.
— Me la vendre ! Comte, auriez-vous appétit à mes
monnaies ?
— Fi donc ! Je suis plus riche que vous. Un baiser
de votre belle me suffira.
— Comte, je ne vends pas les baisers de ma belle !
— Alors donnant, donnant. Votre secret de prime !
— Je ne sais s’il m’appartient ! J’étais quasiment
seul avec le roi quand il m’a ordonné de voir Tronçon.
— Quasiment ?
— Soupite et Berlinghen étaient là mais, bien que fols
comme chevreuils au bois, vous n’ignorez pas qu’ils sont muets sur ce qu’ils
oient dans la chambre du roi.
— Aussi n’est-ce pas d’eux que je tiens, Chevalier, le
secret de votre tronçonnade. Et ce secret, le voici. Louis vous veut marier.
— Me marier, m’écriai-je, moi !
— Louis, poursuivit Bassompierre en baissant la voix,
est à’steure raffolé des mariages, sauf évidemment du sien…
— Me marier ? Et avec qui ?
— Avec une veuve fort bien titrée dont, à cette
occasion, il relèverait le titre pour vous, la dame n’ayant pas de descendance
mâle.
— Eh quoi ! dis-je, tremblant d’ouïr le pire.
Est-ce là l’affaire ? Qu’en est-il de la dame ? La
connaissez-vous ? L’avez-vous vue ?
— Hélas !
— Comte !
— Hélas !
— Comte, de grâce ! Cessez de vous gausser !
— Je ne me gausse pas ! La dame est fort peu
accorte et d’humeur escalabreuse ! Et oyez le pire ! À peu qu’elle
ait passé l’âge canonique !
— Juste ciel ! Comte, vous moquez-vous ? Cela
est-il constant ?
Là-dessus, Bassompierre, sans répondre, rit à gueule bec et,
me donnant derechef une forte brassée, me dit à l’oreille : « Vous
trouverez Tronçon à L’Auberge des Deux Pigeons, rue du Chantre. »
Après quoi, il monta vivement l’escalier que je descendais, laissant son rire
gaussant tintinnabuler dans mon oreille longtemps après qu’il eut disparu.
Toute joie incontinent disparut de mon cœur. Mon beau ciel
n’était plus que cendres, mon breuvage, boue, et mon avenir béait comme un trou
noir sous mes pas. Car si Bassompierre avait dit vrai, comment pourrais-je
accepter de m’élever dans l’ordre de la noblesse au prix qu’il avait dit ?
Et comment, d’un autre côté, pourrais-je refuser la funeste veuve sans offenser
furieusement Louis ?
Je remâchais et ruminais ces pointillés et ombrages pendant
tout le chemin heureusement fort bref qui sépare le Louvre de la rue du Champ
Fleuri et à peine eussé-je atteint mon nid familial que je me jetai dans les
bras de mon père et lui dis à voix haletante ce qu’il en était. Il rit de
prime. La Surie lui faisant écho. Puis me voyant tout déconfit de cette gaîté,
il me passa la main sur l’épaule, me serra à lui et me dit :
— Vous devriez mieux connaître Bassompierre ! Cet
homme-là n’a jamais montré un grand souci pour la vérité. Tout le
rebours ! En outre, encore qu’il vous aime, il aime vous dauber, étant
quelque peu jaloux de vous.
— Jaloux de moi ? Le beau Bassompierre !
— Ah ! Il a quelque raison à cela ! Il y
avait belle heurette qu’il faisait, sans aucun succès, le siège de Madame de
Lichtenberg, et c’est vous qui avez emporté la palme ! Au surplus,
croyez-vous qu’il voie à’steure de si bon œil votre soudaine élévation ?
Qui n’aurait l’impression de demeurer sur place, quand on voit un plus jeune
que soi avancer si vite ? Je gage qu’il ne sera pas le seul à la Cour.
Attendez-vous à être daubé plus d’une fois et par plus d’un ! Mais
quoi ? Comme on dit dans mon Périgord : « Nul miel
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