Les Roses De La Vie
personne.
— Il me verra.
— Alberguière est maîtresse chez elle ! dit-elle
en haussant sa petite taille.
— Et le roi est maître en son royaume. Et c’est le roi
qui m’ordonne de voir Tronçon.
— Cela est-il constant ?
— Dame de céans, vous qui m’avez connu en mes
enfances : suis-je menteur ?
— Non, dit-elle à contrecœur.
— Donc, je verrai Tronçon, dis-je, avec quelque montre
d’autorité en posant en même temps la main sur le haut de son épaule, lequel
était nu et merveilleusement suave.
L’alberguière envisagea tour à tour ma mine sourcillante et
ma main sur son épaule, et la douceur de l’une compensant la dureté de l’autre,
elle dit avec un petit soupir :
— Je vois bien que moi aussi, il faut que j’obéisse au
roi.
Et s’engageant dans l’escalier, elle me fit signe de la
suivre, mais toutefois sans capituler tout à plein, et faisant la sourde
oreille à mes questions, elle ne voulut me dire ni de quelle intempérie Tronçon
pâtissait et pourquoi il se soignait ès auberge et non comme tout un chacun dans
sa chacunière. Je devrais dire ses chacunières car l’heureux Tronçon avait en
Paris deux logis, l’un au Louvre pour lui seul et l’autre, non loin de là en la
rue d’Orléans, face au couvent des Filles Repenties, vaste maison ayant pignon
sur rue et dans laquelle sa femme et ses sept enfants demeuraient.
L’alberguière ouvrant la porte devant moi et la chambre
étant sombre, je ne pus voir d’abord Tronçon, mais en revanche, je l’ouïs fort
bien, quand il cria à l’alberguière d’une voix tranchante et irritée :
— Qu’est cela, sotte caillette ? Vous m’amenez du
monde ! Ne vous ai-je pas dit et répété cent fois que je ne voulais voir
personne ? Savez-vous bien qui je suis et ce qu’il en coûte de
m’affronter ?
— De grâce, Monsieur Tronçon ! dis-je en
m’avançant, ne gourmandez point l’alberguière. Il n’y va pas de sa faute. Je
suis céans sur l’ordre du roi et à Sa Majesté nous devons tous obéir, vous,
elle et moi.
Cela gela le bec de notre Tronçon et l’alberguière,
refermant l’huis derrière elle, disparut.
— Monsieur le Chevalier, dit-il, de loup devenu agneau
et sa voix trahissant quelque effroi, le roi me fait-il rechercher ?
— Pas exactement. Il m’a seulement commandé de vous
aller voir pour que vous m’expliquiez ses intentions à mon endroit.
— Ah ! ce n’est que cela ! dit-il, infiniment
soulagé et peux-je quérir de vous, Monsieur le Chevalier, qui vous a appris que
je me trouvais céans ?
— Excusez-moi, dis-je, trouvant bon de faire à mon tour
des mystères, mais je ne saurais vous le dire.
Et sans attendre qu’il m’y invitât, je m’avançai et m’assis
sans façon sur une escabelle au chevet de son lit. À cet instant, mes yeux
s’étant faits à la pénombre, je vis avec quelque clarté la tête de Tronçon, et
elle m’apparut enveloppée de pansements.
— Mais qu’est cela, Monsieur Tronçon !
m’écriai-je, êtes-vous blessé ?
— Ah ! Monsieur le Chevalier ! Blessé !
Je suis moulu et celle de la tête n’est pas de mes blessures la pire, combien
qu’elle ait saigné beaucoup ! Ah ! Monsieur le Chevalier ! Pour
me punir de mes péchés, on m’a abandonné aux mains des méchants ! Il y a
trois jours, comme je suivais innocemment la rue du Chantre, je fus assailli à
l’avantage par trois mauvais garçons qui me rouèrent de coups, me robèrent ma
bourse et me laissèrent pour mort sur le pavé. Je n’eus que la force de me
traîner jusqu’à l’auberge où la bonne hôtesse m’accueillit, me recueillit, me
coucha et appela un médecin.
— Mais n’eussiez-vous pu alors vous faire transporter
jusque chez vous ?
— Nenni. J’eusse trop inquiété Madame mon épouse,
laquelle a le cœur si fragile qu’elle pâme au moindre émeuvement. J’ai pris
donc soin de la rassurer de mon absence en lui mandant par un petit vas-y-dire
que j’étais parti avec le roi pour Saint-Germain. Monsieur le Chevalier,
reprit-il avec un air de componction qui me parut quelque peu outré, peux-je
vous demander de ne souffler mot à personne de ma présence céans ?
— Je vous le promets.
Comme j’achevai ces mots, mes yeux, se fichant à terre, y
rencontrèrent, à demi poussée sous le lit, une bourse entrouverte où brillaient
des écus. Tronçon avait-il donc sur lui une seconde bourse, et sur les deux
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