Les Roses De La Vie
ceux-là sont nombreux ?
— Oui-da, Madame, son Conseil, ses ministres et Luynes.
Seul le prince de Condé appuye le roi.
— Et pourquoi ?
— Il veut prouver son sang. Madame, vous savez bien que
le monde entier le soupçonne d’être le fils du page qui, sur l’ordre de la
princesse de Condé, empoisonna son père.
— Et comment peut-il prouver son sang ?
— Par la gloire. Vous n’ignorez pas que le sang d’un
prince est censé lui donner, non seulement une insigne vaillance, mais de
grands talents militaires.
— Donc, le roi poursuit sa campagne.
— Il l’aurait poursuivie, même sans Condé. Il prend
sans coup férir Pons, Castillon, Bergerac. Toute la Basse-Guyenne se soumet,
sauf Clérac dont on se saisit après cinq jours de siège, d’ailleurs fort
coûteux en hommes. C’est à ce siège que le garde des sceaux, Monsieur du Vair,
mourut de maladie, et il n’était pas encore froid que Luynes déjà réclamait la
chancellerie, sa rapacité étant telle qu’il aurait cumulé, s’il avait pu, tous
les secrétariats d’État en même temps que sa connétablie. Condé, qui était
bougre, et qui, comme souvent les bougres, s’entendait bien à la raillerie, lui
dit à son nez que « si on voulait distinguer les temps, il était propre à toutes
les charges : bon garde des Sceaux en temps de guerre et bon connétable en
temps de paix ».
— N’est-ce pas bien étonnant que le roi consentît à ce
que Luynes eût encore les sceaux ?
— Madame, le cœur humain est compliqué. Louis, qui
était l’homme de toutes les vertus, se croyait obligé envers Luynes à une
gratitude infinie en souvenir du temps où sa mère, l’abreuvant d’écornes,
l’oiseleur avait été son seul ami. Mais il jugeait son favori avec un sévérité
grandissante et à peine lui eut-il baillé les sceaux qu’il lui en voulut de les
lui avoir demandés. Assurément, il l’aimait encore, mais cette grande amitié se
vidait peu à peu de l’estime qui la soutenait, sans que Luynes s’en doutât le
moindre, son humilité d’antan ayant peu à peu laissé place à une arrogance qui
n’épargnait même pas son bienfaiteur. Madame, peux-je poursuivre ou
commencez-vous à vous lasser du fracas de nos armes ?
— Monsieur, vous me sous-estimez. Mon sexe ne me limite
pas aux affaires de cœur. Et j’aime avoir des lumières sur tout. Voici par
exemple une question qui me tabuste. Pourquoi, après avoir remporté tant de
succès et repris tant de places, Louis en vint-il à ce grave échec sous les
murs de Montauban ?
— Il y a à cela plusieurs raisons, Madame. Louis avait
douze mille hommes. Il en eût fallu trente mille pour assiéger une ville aussi
grande et aussi fortement défendue que Montauban. Louis disposait de
quarante-cinq canons. Il en eût fallu une centaine.
— Une centaine !
— Ramentez-vous, Madame, que lorsque notre Henri,
partit déloger le duc de Bouillon de Sedan où ce brouillon s’était contre lui
fortifié, il se fit suivre par cent canons. Quand il s’agit d’un siège,
« trop fort n’a jamais manqué », comme disent les marins. Mais
surtout, Madame, on ne savait qui commandait devant Montauban, tant on avait de
commandants : Luynes, Lesdiguières, le duc du Maine et mon demi-frère, le
duc de Guise.
— Mais Luynes n’eût-il pas dû, étant connétable,
commander à tous ?
— Luynes, Madame, se déshonorait par sa couardise. Il
n’approcha jamais la ville de la portée du canon, tant est que les soldats en
faisaient des railleries et appelaient la connétable le petit tertre
lointain d’où il regardait la mêlée. Cependant, tout en étant si pleutre, il
était en même temps fort jaloux de son pouvoir et pour l’affirmer, il
repoussait les plus sages avis. Lesdiguières lui ayant fait observer qu’il
restait un trou béant dans l’encerclement de la ville, le côté nord-ouest
n’ayant pas été garni de troupes, il lui tourna le dos et noulut l’ouïr :
entêtement fatal, car c’est par cette faille que les huguenots purent secourir
les assiégés en hommes, en munitions et en pain.
« Voyant les avis de Lesdiguières si méprisés, le duc
du Maine, sans du tout demander l’avis du connétable, se mit en tête d’attaquer
seul une demi-lune [45] qu’il
avait battue de ses boulets pendant deux jours.
« Il était le fils du fameux duc de Mayenne, grand
capitaine qui, après avoir combattu Henri IV, avait servi à ses
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