Les Roses De La Vie
heures. Je reprends. Louis arrive à Moissac à cinq
heures et demie, passe l’après-midi avec Anne. À sept heures, il soupe chez
elle avec elle. Il se met au lit à dix heures et l’honore deux fois.
— Comment sait-on cela ?
— Mais, Madame, je vous l’ai déjà précisé. On le sait
par la chambrière dont c’est le devoir de le rapporter à Héroard, lequel le dit
à moi-même, premier gentilhomme de la Chambre et le confie ensuite à son
Journal.
— Deux fois ? Cela me paraît assez peu pour un
jeune homme de son âge.
— Après deux heures et demie de cheval par monts et
vaux ? Un lever prévu pour le lendemain à cinq heures et la perspective de
passer de nouveau trois heures en selle au retour ! Madame, ne seriez-vous
pas un peu exigeante ?
— Monsieur, ne seriez-vous pas un peu indiscret ?
La Dieu merci, il ne s’agit pas de moi. Mais, poursuivez, de grâce. Si je
comprends bien, les choses ne se passent pas ainsi quand la reine vient de
Piquecos à Moissac pour retrouver le roi.
— Pas du tout. Et c’est bien là l’étrange. Ces visites
de la reine eurent lieu le vingt et un septembre, le trente septembre et le
quatre octobre. Elle arrive naturellement en carrosse à Piquecos aux environs
de midi. Et elle n’a pas plus tôt mis pied à terre que Monsieur de Luynes
l’accueille, se génuflexe, baise le bas de sa robe et l’invite à sa table, avec
le roi, cela va sans dire. Le repas terminé à trois heures, la reine s’en
retourne à Moissac. À chaque fois, la même scène se répète : Monsieur de
Luynes s’arrange pour se mettre en tiers entre les époux et empêcher entre eux
tout entretien au bec à bec.
— Serait-il jaloux ?
— Vous vous ramentevez, Madame, qu’autrefois, Luynes a
fait de constants efforts pour que Louis revienne sur l’échec de sa nuit de
noces et que c’est incontestablement grâce à lui que le roi, à la parfin, dut
d’v avoir réussi. Si jalousie il y a, elle n’a donc pas ce sens-là.
— Que suggérez-vous ?
— Je dirais qu’il sent que sa faveur vacille et qu’il
craint, sans doute à tort, qu’une autre influence que la sienne s’exerce sur le
roi.
— Avait-il quelque raison de redouter la reine ?
— Je ne le crois pas. La reine en ce temps-là aimait le
roi et ne s’était pas encore laissé prendre au piège de l’intrigue politique.
— Eût-il été possible pour le roi d’avoir un moment
d’intimité véritable avec la reine au cours de l’après-dînée ?
— Avec Henri IV, Madame, toute heure, toute
occasion et même toute partenaire était bonne. Mais le pieux Louis XIII
n’a jamais rempli que sous le voile de la nuit son devoir dynastique.
— J’espère pourtant, pour la pauvre Anne, qu’elle va
revoir le roi à Moissac.
— Oui-da, le dix-huit octobre et la journée commence
mal, car c’est ce jour-là précisément que ces messieurs du clergé et leur
porte-parole, l’évêque de Rennes, apportent leur million d’or au roi pour qu’il
continue sa guerre aux huguenots. Et leurs babilleries, hélas, sont infinies.
Il faut les ouïr avec patience jusqu’à midi. Tant est que le roi part
tardivement pour Moissac et n’arrive qu’à six heures du soir à la nuit
tombante. À sept heures, il soupe avec la reine. À neuf heures, il se met au
lit avec elle et j’ai presque quelque vergogne à vous dire, Madame, qu’il ne
l’honora qu’une fois.
— Monsieur, je me tairai là-dessus. Vous me dauberiez
derechef.
— Madame, n’est-il pas permis de dauber un peu ceux
qu’on aime ?
— Mais pas trop n’en faut.
— Je m’en ramentevrai. Peux-je ajouter que le mauvais
succès du siège donnait à mon pauvre Louis un souci à ses ongles ronger. La veille,
sur les quatre heures, il était allé au camp voir trois attaques qu’on devait
faire. Elles échouèrent toutes les trois. Et comme il se retirait, un canon
tira des remparts de Montauban et tua un laquais à dix pas de lui. Je vis alors
le roi comme je vous vois. Il ne cilla même pas. Dans les dix jours qui
suivirent, il ne retourna pas voir la reine, car il eut fort à faire et à
décider. Et quinze jours plus tard, le quatorze décembre, comme je l’ai dit, il
quittait le camp de Montauban.
— La mort dans l’âme, j’imagine.
— Oui, Madame, la mort dans l’âme est bien dit. Il
sentait bien que l’échec de Montauban allait effacer dans l’esprit des peuples
et surtout du peuple huguenot les
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