Les Roses De La Vie
qui fit
naître dans l’âme tortueuse de celle que Louis XIII appelait « le
diable » un plan sulfureux. Bien qu’Anne d’Autriche et Buckingham ne se
fussent jamais vus, l’idée germa en Madame de Chevreuse de faire en sorte que
la reine de France, à ouïr sans cesse les louanges du beau duc, et à voir ses
portraits, pût tomber amoureuse de lui. Hollande, de son côté, en fit de même
avec Buckingham, le but ultime de ces remuements étant de provoquer une
intrigue entre Anne d’Autriche et le favori du roi d’Angleterre quand il
viendrait en France demander la main d’Henriette.
Je n’aurais jamais cru qu’un plan de cette espèce, à la fois
si fol, si futile, et en même temps si périlleux pour toutes les parties en
cause pût voir le jour dans une cervelle humaine, si Françoise Bertaut, qui
devint plus tard Madame de Motteville, ne m’avait assuré de son existence. Il
est en tout cas tout à fait certain que le duc de Buckingham entra dans cette
stupide intrigue avec une déraisonnableté qui ne peut que laisser pantois. Il
est vrai aussi qu’il avait plus à se glorifier dans la chair que dans la
cervelle, sa jugeote étant pauvre et sa vanité, immense. Quand Hollande lui dit
que l’envoûtement auquel Madame de Chevreuse se livrait sur la pauvre Anne
commençait à porter ses fruits, il résolut de la voir, mais comme à ce moment
de son histoire, l’Angleterre poursuivait le mariage espagnol, il persuada le
prince de Galles de se rendre en personne à Madrid pour voir l’infante Maria,
mais en passant incognito par Paris, afin de voir la reine Anne lors du grand
ballet donné par la reine-mère.
Anne avait été tenue au courant de cette visite romanesque
et secrète et dans la cohue de ce ballet, le prince de Galles et Buckingham,
sur le seul crédit de leur bonne mine, car ils étaient splendidement attifurés
et peut-être aussi en répandant autour d’eux des pécunes, réussirent à être si
bien placés qu’ils avaient des vues proches sur la reine et elle sur eux. La
duchesse de Chevreuse, assise sur un tabouret à côté de la reine, lui désigna
les visiteurs et il y eut un échange de regards, discrets chez la reine, mais
très appuyés chez Buckingham, assez en tout cas pour être remarqués par la Cour
qui ne sut que le lendemain qui étaient ces beaux jeunes gens. Les langues, dès
lors, se délièrent.
Que ce disconvenable babillage atteignît l’oreille de Louis,
ou qu’il eût surpris lui-même les regards incriminants, je ne saurais dire,
mais il est de fait que les jours suivants, il me parut irrité et malengroin.
D’une façon plus surprenante encore, le ballet ayant lieu le six mars, Louis ne
fit aucune visite, pas même protocolaire, à la reine au cours des cinq jours
qui suivirent. Cependant, le douze mars, il parut revenir à des sentiments
meilleurs, car à dix heures de l’après-dînée, il alla coucher chez la reine et
d’après ce qu’on me dit le lendemain il y accomplit par deux fois son devoir
dynastique.
J’en conclus que la jalousie, fondée sur des apparences
aussi légères, ne l’avait pas pu mordre profondément. En quoi je me trompais.
Car en avril, près d’un mois après l’apparition de Buckingham auprès de la
reine, il interdit l’entrée des appartements de la reine aux hommes, sauf quand
il s’y trouvait lui-même. Cette interdiction avait existé autrefois à la Cour
de France, mais on l’avait supprimée, pour ce qu’elle paraissait quelque peu
insultante pour la reine régnante. Le fait que Louis l’eût rétablie, au risque
de blesser profondément Anne d’Autriche, parut indiquer qu’après l’épisode de
la chute fatale dans la grande salle du Louvre, et les regards échangés avec
Buckingham au cours du ballet de la reine-mère, la confiance de Louis en son
épouse avait été beaucoup plus ébranlée qu’il n’avait d’abord paru.
Je le plaignis, rien n’étant en ce monde plus à douloir que
les épines de la jalousie. Toutefois, à sa place, je n’eusse pas infligé à la
reine la mesure rigoureuse et publique qu’il avait prise. C’était faire perdre
la face à la pauvrette et la perdre quelque peu lui-même. À mon sens, il
connaissait bien mal les femmes pour ne pas savoir que leur fidélité peut
s’accommoder d’une disposition à sentir avec enivrement la gloire de se croire
aimées par un beau cavalier convoité par tant de belles. À créer pour Anne une
sorte de couvent clos à
Weitere Kostenlose Bücher