Les Roses De La Vie
appartements du Louvre et mon frère, Monsieur
du Tremblay, s’étant longuement entretenu avec vous.
— Ah ! m’écriai-je, père Joseph ! Est-ce
vous ? Et que cherchez-vous céans ?
— Mais un entretien au bec à bec avec votre personne,
si vous y étiez disposé. Ne pourrions-nous pas nous asseoir sur ce banc au bord
du Rhône ? Je me trouve que d’être excessivement las, ayant fait à pied
tout le voyage de Paris jusqu’à Arles.
— Mon père, asseyons-nous, dis-je. Ne voulez-vous pas
venir coucher chez moi cette nuit ? Vous pourriez vous y rebiscouler de
toutes vos fatigues.
— Nenni, nenni. Monsieur le Comte, je vous fais mille
mercis, mais je trouverai bien, en cette bonne ville, un couvent de capucins qui
acceptera de me bailler une soupe et une paillasse. Monsieur le Comte, je vous
ai vu tout joyeux sortir du Conseil, tout à l’heure, et pardonnez ma curiosité,
si j’ose quérir de vous la raison de votre allégresse.
— Vous le pouvez, mon père, il n’y a pas de secret. Le
roi vient de m’admettre dans son Conseil des affaires.
— Ah ! Monsieur le Comte ! s’écria le père
Joseph, c’est là un avancement émerveillable pour quelqu’un d’aussi jeune.
Émerveillable et mérité, car je n’ignore pas que vous êtes fort savant. J’ai
ouï dire, ajouta-t-il, que le cardinal de Retz a rendu son âme à Dieu. Le fait
est-il constant ?
— C’est hélas vrai…
Un silence suivit cette demi-élégie et le père Joseph, sans
s’en faire autrement écho, reprit :
— Je sais bien que vous venez de prêter serment au roi
que vous ne révélerez jamais à quiconque ce qui s’est dit au Conseil. En
conséquence, ajouta-t-il d’un air vertueux, je ne vous demanderai pas par qui
Sa Majesté a jugé bon de remplacer le cardinal de Retz au Conseil.
Ce discours me fit sourire, car le père Joseph me posait une
question tout en se défendant de me la poser et en même temps, il attendait de
moi que je fusse discret sans l’être du tout. Tout capucin qu’il fût, cela
sentait le Jésuite et j’eus bien envie de répondre à ses subtilités par une
subtilité qui fût de même farine. Gravement, je dis un mot, un seul, mais qui
contenait des volumes.
— Hélas !
Cet « hélas », qui sonnait le glas des espérances
que le père Joseph avait conçues pour le cardinal de Richelieu, laissa un court
instant le père Joseph muet, et sa tête disparut tout à fait dans son capuce.
Mais en même temps, cet « hélas » lui paraissant montrer que je
pouvais être en mon for acquis à Richelieu, il saisit en un clin d’œil tous les
avantages que ce possible ralliement pouvait lui valoir et entreprit de me
faire préciser ma pensée.
— Si je vous entends bien, Monsieur le Comte, dit-il
avec une suave douceur, vous n’approuvez pas le choix qui a été fait.
— Nenni, nenni, dis-je vivement, ce choix ne peut être
que bon, puisqu’il est le fait de Sa Majesté. Toutefois, si vous me permettez
de prendre quelque hauteur par rapport à cet avancement, je dirais qu’il arrive
souvent que lorsqu’on a le choix entre deux hommes, l’un qui n’a que le mérite
d’une médiocrité rassurante et l’autre qui, de l’avis de tous, possède mille
talents, on préfère parfois le premier au second en raison de la crainte que le
génie inspire à ceux qui ont peur d’être gouvernés.
— Cette phrase, Monsieur le Comte, est empreinte d’une
sagesse émerveillable. Me permettez-vous de la répéter ?
— Oui, mon père, dis-je avec un sourire, mais à une
seule personne.
À quoi le père Joseph esquissa à son tour un sourire et au
bout d’un moment poursuivit :
— J’imagine, Monsieur le Comte, qu’au Conseil, vous
serez d’ores en avant très soulagé d’échapper à la tutelle de Puisieux et de
son père.
— Ce n’est pas, mon père, que leur tutelle fût lourde.
C’est leur politique, ou plutôt leur absence de politique, qui me paraissait
insufférable, ces ministres ne ministrant rien à mon sentiment. En un mot, fils
et père faisaient mieux leurs affaires que les affaires de la France. Si je
devais résumer mon sentiment…
— Ah ! résumez-le, de grâce ! dit le père
Joseph d’une voix pressante.
Mais je ne répondis point tout de gob. Je fus un moment la
glotte nouée, tant ce que j’allais dire me paraissait de grande conséquence
dans ma vie et susceptible de l’orienter vers le meilleur ou vers le pire.
— Puisque
Weitere Kostenlose Bücher