Les Roses De La Vie
n’invente pas
l’Histoire ! J’en suis mois après mois les méandres. Et si je ne vous
parle point pour l’instant de Louis, c’est qu’il faut attendre que le coquelet
devienne coq, et apprenne un métier difficile : celui de roi. Il écoute,
il hésite, il tâtonne, et parfois, il se trompe.
— Il se trompe ?
— En l’occurrence, il ne soutint pas les protestants
d’Allemagne.
— Et pourquoi les devait-il aider, lui, si pieux
catholique ?
— Parce qu’il y allait de l’intérêt de son royaume.
C’est, de reste, ce que son père eût fait à sa place. Et ce que Richelieu, s’il
avait été alors son ministre, lui aurait à coup sûr conseillé.
— Quoi ? un évêque, aider des protestants ?
— Oui-da, pourvu que ce fussent des protestants
allemands. Tous ceux qui subissaient le pouvoir des Habsbourg n’étaient-ils pas
nos alliés naturels ?
— Voilà bien nos grands Machiavels ! Ils lorgnent
loin, très loin au-delà des frontières, alors que notre pauvre petite reine est
encore pucelle et que la France demeure sans dauphin.
— Ah ! Madame ! Vous touchez là un point
infiniment délicat ! On peut à la rigueur forcer une fille, mais comment
forcer un homme à user de son guilleri, si quelque embarras de cervelle lui
noue les aiguillettes ?
— Pourtant, Monsieur, la gravité dynastique de cette
défaillance…
— … n’échappe à personne. Pour tout autre gentilhomme
de France ou de Navarre, l’échec en ce domaine serait à vergogne, voire à
déshonneur et entraînerait un drame domestique. Mais pour le roi de France,
c’est une affaire d’État. Et croyez-moi, il y a plus d’un gentilhomme en France
et hors de France qu’elle tabuste et qu’elle désommeille.
*
* *
Plaise à vous, lecteur, de bien vouloir m’excuser si, dans
le récit que je vais tenter des relations difficiles, et voire même
dramatiques, entre Anne d’Autriche et Louis, je reprends d’aucunes choses que
j’ai déjà contées dans le volume de mes Mémoires précédant celui-ci. Mais je ne
peux, de force forcée, que je ne le fasse, désirant brosser de ces rapports un
tableau si complet que je fusse assuré de ne rien omettre. Le jeu en vaut la
chandelle, puisque de ce qui se passa ou ne se passa point entre Louis et la
petite reine dépendit pendant quatre longues années la fortune de France.
Dans le clos de notre librairie, loin des oreilles de notre
Mariette, nous avons longtemps évoqué, mon père, La Surie et moi, le désastre
de cette nuit de noces du vingt-cinq novembre 1615, ainsi que les raisons,
proches ou lointaines, profondes ou fortuites, qui le pouvaient expliquer.
La Surie, chez qui la conversion au catholicisme, imposée
par les circonstances, n’avait en rien éradiqué la profonde aversion huguenote
pour la confession auriculaire, soutenait que toute la faute devait en retomber
sur le père Cotton qui avait émasculé son catéchumène, en lui râtelant de la
pique du jour au coucher du soleil que Satan c’était la chair et que la chair,
c’était la femme.
Il est vrai que cette semence-là tombait sur un caractère
entier et consciencieux, et avait développé une rigueur, voire même une
rigidité dont Louis devait donner des preuves toute sa vie. Elle devait, en
tout cas, lui inspirer, en particulier, une invincible horreur pour l’adultère,
qu’elle fût pratiquée par d’autres, ou qu’il l’appréhendât pour lui-même comme
une tentation. Bien des années plus tard, le premier duc de Saint-Simon, alors
jeune écuyer, me conta que lorsque Louis tomba amoureux de Mademoiselle
d’Hautefort, il offrit au roi, voyant que Sa Majesté ne faisait rien pour
obtenir les faveurs de sa belle, de s’entremettre entre elle et lui. Louis fut
excessivement offensé par cette proposition et gela le bec de l’étourdi en lui
disant d’un air fort sourcilleux :
— Il est vrai que je suis amoureux de Mademoiselle
d’Hautefort, que je parle d’elle volontiers et pense à elle davantage encore et
il est vrai aussi que tout cela se fait en moi, malgré moi, parce que je suis
homme et que j’ai cette faiblesse. Mais plus ma qualité de roi me peut donner
de facilité à me satisfaire, plus je dois être en garde contre le péché et le
scandale. Je pardonne pour cette fois à votre jeunesse. Mais qu’il ne vous
arrive jamais de me tenir un pareil discours, si vous voulez que je continue à
vous aimer [16] .
Comment ne pas conclure de
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