Les Seigneurs du Nord
une dizaine de pas de lui, Ivarr s’arrêta, s’appuya sur sa lance et
nous jeta un regard glacial. Il me prit pour le roi, peut-être parce que ma
cotte et mon casque étaient plus beaux que les siens.
— Es-tu l’enfant qui se fait appeler roi ?
demanda-t-il.
— Je suis l’enfant qui a tué Ubba
Lothbrokson, répondis-je.
Ubba était l’oncle d’Ivarr. Mon insolence le
fit grimacer et alluma une étrange lueur dans son regard. Il avait des yeux de
serpent dans un crâne décharné. Il avait beau être blessé et privé de son
pouvoir, il aurait tout donné pour pouvoir me tuer en cet instant.
— Et tu es ?
— Tu le sais, répondis-je avec mépris, car
l’arrogance est tout chez le jeune guerrier.
Guthred me prit le bras pour me faire taire et
s’avança.
— Seigneur Ivarr, dit-il, je suis peiné
de te voir blessé.
— Tu devrais en être heureux, ricana
Ivarr, et peiné seulement que je ne sois mort. Tu es Guthred ?
— J’ai peine que tu sois blessé, seigneur,
et pour les hommes que tu as perdus, et je me réjouis des ennemis que tu as
occis. Nous te rendons grâces. (Il recula et balaya du regard notre armée
rassemblée sur la route.) Nous devons remercier Ivarr Ivarrson ! cria-t-il.
Il a vaincu une menace venue du Nord ! Le roi Aed est rentré en boitant
chez lui pleurer ses pertes et consoler les veuves de Scotie !
La vérité, en fait, c’était qu’Ivarr boitait
et qu’Aed était victorieux, mais les paroles de Guthred soulevèrent des vivats
qui étonnèrent Ivarr. Il devait s’attendre à ce que Guthred le fasse tuer, ce
qu’il aurait dû faire, mais il préférait traiter Ivarr avec honneur.
— Tue ce démon, murmurai-je à Guthred.
Il me jeta un regard étonné comme si une telle
idée ne lui était jamais venue à l’esprit.
— Pourquoi ?
— Tue-le, c’est tout, et aussi ce rat qui
lui tient lieu de fils.
— Tuer est ton obsession, s’amusa Guthred
tandis qu’Ivarr nous observait et devait deviner ce qui se disait. Sois le
bienvenu, seigneur Ivarr, dit Guthred en souriant. La Northumbrie a fort besoin
de grands guerriers et toi, seigneur, de repos.
Je lus dans les yeux de ce serpent la
stupéfaction. Il prenait Guthred pour un sot, mais c’est à ce moment que je
compris que le destin de Guthred était en or. Wyrd bid ful årœd. Quand j’avais
sauvé Guthred des griffes de Sven et qu’il avait prétendu être roi, je l’avais
pris pour un plaisantin. Et quand il avait été couronné à Cair Ligualid, j’avais
continué à trouver le tour bien joué : même à Eoferwic, je n’imaginais pas
qu’il durerait plus de quelques semaines, car Ivarr était le grand seigneur
impitoyable de la Northumbrie, mais à présent Aed avait fait le travail à notre
place. Ivarr avait perdu la plupart de ses hommes, il était blessé et il ne
restait plus que trois grands seigneurs en Northumbrie. Ælfric, cramponné à sa
terre volée à Bebbanburg. Kjartan, tapi comme une araignée noire dans sa
forteresse au bord de la rivière. Et le roi Guthred, seigneur du Nord et unique
Dane en Bretagne capable de mener Saxons ainsi que Danes.
Nous restâmes à Onhripum. Ce n’était pas prévu,
mais Guthred tint à ce que nous attendions que les blessures d’Ivarr soient
soignées. Les moines s’occupèrent de lui, et Guthred vint à son chevet lui
apporter ale et nourriture. Hild lava et pansa les plaies des compagnons
blessés d’Ivarr.
— Il leur faut à manger, me dit-elle.
Mais nous avions peu de vivres et chaque jour
je devais aller de plus en plus loin pour trouver du grain ou du bétail. Je
pressai Guthred de reprendre la marche vers une région où les vivres seraient
plus abondantes, mais il était fasciné par Ivarr.
— Je l’aime bien ! me dit-il. Et
nous ne pouvons le laisser ici.
— Nous pourrions l’y ensevelir, proposai-je.
Ivarr n’était pas avare de louanges et le
jeune roi buvait jusqu’à la dernière de ses fourbes paroles.
Les moines s’acquittèrent bien de leur tâche, car
Ivarr se remit rapidement. J’espérais qu’il succomberait à ses blessures, mais
après trois jours il était déjà en selle. Il souffrait encore, c’était évident.
La douleur devait être affreuse, mais il se forçait à marcher et à monter, tout
comme il se contraignit à prêter allégeance à Guthred.
Il n’avait guère le choix. Il ne possédait
plus qu’une centaine d’hommes pour la plupart blessés et il n’était plus
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