Les Seigneurs du Nord
un
grand seigneur de guerre. Aussi son fils et lui s’agenouillèrent-ils devant Guthred
en joignant les mains pour lui jurer fidélité. Le fils, Ivar, âgé de seize ans,
maigre et redoutable, ressemblait à ses père et grand-père. Je me méfiais des
deux, mais Guthred faisait la sourde oreille. Il était juste, disait-il, qu’un
roi soit généreux ; en témoignant sa merci à Ivarr, il croyait se l’allier
éternellement.
— C’est ce qu’aurait fait Alfred, me
dit-il.
— Alfred aurait pris le fils en otage et
renvoyé le père.
— Il a prêté serment.
— Il lèvera une nouvelle armée, l’avertis-je.
— Tant mieux ! dit-il avec son
habituel sourire. Nous avons besoin de soldats.
— Il voudra que son fils soit roi.
— Il ne voulait pas lui-même du trône, pourquoi
le voudrait-il pour son fils ? Tu vois des ennemis partout, Uhtred. Le
jeune Ivar est un joli garçon, ne trouves-tu pas ?
— Il ressemble à un rat affamé.
— Il est de l’âge qui sied à Gisela !
Face de cheval et rat ! (J’eus envie de lui faire passer son sourire d’un
coup de poing.) C’est une idée, ne trouves-tu pas ? Il est temps qu’elle
se marie, et cela scellerait l’alliance avec Ivarr.
— Pourquoi ne pas sceller la nôtre ?
demandai-je.
— Toi et moi sommes déjà amis et j’en
remercie Dieu.
Nous remontâmes au Nord lorsque Ivarr fut
suffisamment remis. Ivarr était certain que d’autres de ses hommes avaient survécu
au carnage, et les frères Jænberht et Ida étaient partis en éclaireurs avec une
escorte de cinquante hommes. Les deux moines, m’assura Guthred, connaissaient
la région de la Tuede et pouvaient guider les recherches.
Guthred chevaucha avec Ivarr la plupart du
temps. Il avait été flatté par le serment qu’il attribua à la magie chrétienne ;
et lorsque Ivarr le quitta pour rejoindre ses hommes, Guthred manda le père
Hrothweard et l’interrogea sur Cuthbert, Oswald et la Trinité. Il voulait
savoir comment profiter de cette magie et fut déçu par les explications du
prêtre.
— Le Fils n’est pas le Père, le Père n’est
point l’Esprit, et l’Esprit n’est point le Fils, répéta patiemment Hrothweard, mais
Père, Fils et Saint-Esprit ne sont qu’un, indivisible et éternel.
— Il y a trois dieux, alors ? demanda
Guthred.
— Un seul ! tonna Hrothweard.
— Comprends-tu cela, Uhtred ?
— Jamais je n’ai pu, seigneur, répondis-je.
Pour moi, ce ne sont qu’absurdités.
— Ce n’est point ! siffla Hrothweard.
Imagine un trèfle, expliqua-t-il au roi. Trois feuilles séparées, mais une
seule plante.
— C’est un mystère, seigneur, intervint
Hild.
— Un mystère ?
— Dieu est mystérieux, seigneur, dit-elle
sans prêter attention au regard malveillant du prêtre, et dans ce mystère nous
pouvons découvrir des merveilles. Il n’est point nécessaire de le comprendre, mais
seulement de s’en étonner.
— Alors, seras-tu la dame de compagnie de
mon épouse ? lui demanda Guthred d’un ton enjoué.
— Épousez-la d’abord, seigneur, je
déciderai alors.
Il sourit et se retourna.
— Je croyais que tu avais décidé de
retourner au couvent, dis-je.
— Gisela te l’a confié ?
— Si fait.
— J’attends un signe de Dieu.
— La chute de Dunholm ?
— Peut-être. C’est un lieu néfaste. Si
Guthred la prend sous la bannière de saint Cuthbert, cela montrera la puissance
de Dieu. Peut-être est-ce le signe que je guette.
— Pour moi, tu as déjà reçu ce signe.
Elle éloigna sa jument de Witnere qui la
lorgnait d’un œil mauvais.
— Le père Willibald voulait que je rentre
en Wessex avec lui, mais j’ai refusé. Je lui ai dit que je me retirerais de
nouveau du monde seulement lorsque je saurais ce qu’est ce monde. (Elle se tut.)
J’aurais aimé avoir des enfants.
— Tu le peux.
— Non, ce n’est point mon destin. Tu sais
que Guthred veut marier Gisela au fils d’Ivarr ? me demanda-t-elle avec un
regard oblique.
Sa question me surprit.
— Je sais qu’il y songe, répondis-je
prudemment.
— Ivarr a accepté, hier soir.
J’eus un pincement de cœur, que je m’efforçai
de dissimuler.
— Comment le sais-tu ?
— Gisela me l’a dit. Mais il y a une dot.
— Il y a en a toujours une.
— Ivarr veut Dunholm.
Il me fallut un moment pour comprendre, puis
je compris le monstrueux marché. Ivarr avait perdu la plus grande part de sa
puissance quand Aed
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