Les Seigneurs du Nord
bannière à tête d’aigle, Guthred la sienne, et
Ivarr un étendard déchiré portant deux corbeaux, qu’il avait sauvé de sa
défaite contre les Scotes. J’étais le seul à n’en pas porter.
Ulf étouffa un juron quand nous arrivâmes en
vue de Dunholm, car c’était la première fois qu’il contemplait la puissance de
ce haut rocher logé dans une courbe de la Wiire. Des sycomores et des charmes
couvraient ses pentes abruptes, mais le sommet était déboisé et nous y vîmes
une robuste palissade de bois protégeant les trois ou quatre châteaux qui y
étaient juchés. L’entrée du fort était une haute porte surmontée d’un rempart
où flottait un étendard triangulaire montrant un navire à proue de serpent pour
rappeler que Kjartan était naguère marin, et le mur était garni de lanciers et
de rangées de boucliers.
Ulf contempla la forteresse. Guthred et Ivarr
le rejoignirent sans un mot, car il n’y avait rien à dire. Elle semblait
imprenable. Redoutable. Un chemin étroit et abrupt y montait, et il fallait
très peu d’hommes pour le tenir, car il serpentait entre les arbres et les
rochers jusqu’à la porte. Nous pouvions y lancer toute l’armée, mais par
endroits le chemin était si étroit que vingt hommes pouvaient nous retenir
pendant que lances et rochers nous cribleraient. Guthred me jeta un regard
suppliant.
— Sihtric ! appelai-je. Ce mur
fait-il tout le tour du sommet ?
— Oui, seigneur… sauf… hésita-t-il.
— Sauf ?
— Sauf en un escarpement au sud. C’est là
que sont déversées les ordures.
— Peut-on le gravir ?
— Non, seigneur.
— Et l’eau ? Y a-t-il un puits ?
— Deux, seigneur, à l’extérieur de la
palissade. L’un à l’ouest, peu utilisé, et l’autre à l’est. Mais il est tout en
haut de la pente, parmi les arbres. Et il est protégé par une autre palissade.
Je le récompensai d’une pièce, mais ses
réponses ne m’avaient guère réconforté. Je pensais que si Kjartan puisait l’eau
à la rivière, nous pourrions barrer le chemin avec nos archers ; mais
aucune flèche ne pouvait franchir un rideau d’arbres pour interdire l’accès au
puits.
— Que devons-nous faire ? demanda
Guthred.
Un peu agacé, je fus tenté de lui suggérer de
consulter ses prêtres qui avaient tenu à nous faire camper en un lieu si peu
commode, mais je me retins.
— Tu peux lui offrir de traiter, et s’il
refuse, nous l’affamerons.
— La récolte est rentrée.
— Alors, il faudra un an. Élève un mur
autour de ce roc. Piège-le. Montre-lui que nous ne partons pas. Qu’il sache que
la famine le guette. Si tu bâtis ce mur, continuai-je, creusant mon idée, tu n’auras
pas à laisser ton armée. Soixante hommes suffiront.
— Soixante ?
— Ils suffiraient à défendre un mur.
Le grand rocher où se dressait Dunholm avait
la forme d’une poire, l’extrémité la plus étroite formant la base de la presqu’île
où nous étions postés. La rivière coulait sur notre droite, contournant l’énorme
roc, puis réapparaissait sur notre gauche ; à cet endroit, la distance
entre les rives était de moins de trois cents pas. Il nous faudrait une semaine
pour y abattre les arbres, une autre pour creuser un fossé et dresser une palissade,
et une troisième pour la renforcer afin que soixante hommes suffisent à la
défendre. Le sol n’était pas plat, et la palissade devait en épouser le contour.
Soixante hommes ne pouvaient défendre trois cents coudées de mur, mais une
grande partie de la base de la presqu’île était infranchissable en raison des
falaises. En pratique, les soixante hommes n’auraient à défendre la palissade
qu’en trois ou quatre endroits.
— Soixante ! cracha Ivarr, sortant
de son silence. Il en faudra plus que cela. Ils devront être relevés la nuit. D’autres
auront à chercher de l’eau, s’occuper du bétail et patrouiller les rives. Soixante
peuvent tenir le mur, mais il en faudra deux cents de plus pour les seconder.
Il me jeta un regard méprisant. Il avait
raison, bien sûr. Et si deux ou trois cents hommes étaient occupés à Dunholm, cela
en faisait autant qui ne pouvaient ni garder Eoferwic et les frontières, ni
travailler la terre.
— Mais un mur élevé ici pourrait vaincre
Dunholm, dit Guthred.
— En vérité, convint Ivarr d’un ton peu
convaincu.
— Il faut donc seulement d’autres hommes.
Je partis avec Witnere vers l’est, comme si
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