Les Seigneurs du Nord
demandai-je.
— C’est folie, quand il décrète que
chaque homme, païen ou chrétien, doit payer la dîme à l’église.
Offa avait parlé de cet impôt, qui était en
vérité une sottise. La dîme était le dixième de tout ce qu’un homme cultivait, élevait
ou fabriquait, et les Danes païens n’accepteraient jamais de s’en acquitter.
— Je pensais que vous l’approuveriez, seigneur,
dis-je avec malice.
— J’approuve la dîme, bien sûr, répondit
Alfred avec lassitude, mais elle doit pour moi être payée de bon gré.
— Hilarem datorem diligit Deus, renchérit
Beocca. Comme il est dit dans notre évangile.
— « Dieu approuve celui qui donne
dans la joie », traduisit Alfred. Mais quand une terre est mi-païenne
mi-chrétienne, on n’encourage pas l’unité en offensant la moitié la plus
puissante. Guthred doit être un Dane pour les Danes et un chrétien pour les
chrétiens. Tel est mon conseil pour lui.
— Si les Danes se rebellent, Guthred
a-t-il le pouvoir de les vaincre ?
— Il possède une fyrd saxonne, et
quelques Danes chrétiens, mais trop peu, hélas. J’estime qu’il peut lever six
cents lances, mais moins de la moitié seront fiables au combat.
— Et Ivarr ?
— Près d’un millier. Et si Kjartan s’allie
à lui, il en aura bien plus.
— Kjartan ne quitte point Dunholm.
— Il n’en a point besoin, dit Alfred. Il
lui suffit de dépêcher deux cents hommes à Ivarr. Et j’ai ouï dire qu’il
haïssait particulièrement Guthred.
— Parce que Guthred a pissé sur son fils.
— Comment ? s’étonna le roi.
— Il lui a pissé sur les cheveux. Devant
moi.
— Seigneur Dieu… soupira Alfred, jugeant
manifestement que, passée la rivière Humber, les hommes étaient des barbares.
— Ce que doit donc faire Guthred, c’est
anéantir Ivarr et Kjartan ? demandai-je.
— C’est l’affaire de Guthred.
— Il doit faire la paix avec eux, intervint
Beocca.
— La paix est ce qu’il faut toujours
désirer, dit Alfred sans grande conviction.
— Si nous dépêchons des émissaires aux
Danes de Northumbrie, seigneur, nous devons obtenir la paix.
Je me rappelai que Offa, le montreur de chiens,
m’avait parlé de marier Gisela à mon oncle.
— Guthred pourrait convaincre mon oncle
de le soutenir, avançai-je.
— Et approuverais-tu cela, seigneur
Uhtred ? me demanda le roi.
— Ælfric est un usurpateur. Il a juré de
me reconnaître héritier de Bebbanburg et n’a pas tenu sa parole. Non, seigneur,
je ne l’approuverais point.
Alfred contempla ses cierges qui fondaient et
souillaient de suie le mur chaulé.
— Celui-ci, déclara-t-il, brûle trop vite.
(Il se mouilla les doigts, moucha la mèche et le cierge rejoignit dans une
corbeille ceux qui ne convenaient point.) Il est fort désirable, continua-t-il
en examinant ses cierges, qu’un roi chrétien règne sur la Northumbrie. Il est
même souhaitable que ce soit Guthred. C’est un Dane, et si nous devons gagner
les Danes à la connaissance et à l’amour du Christ, nous avons besoin de rois
danes et chrétiens. Ce dont nous nous passerons, c’est de Kjartan et Ivarr
faisant la guerre aux chrétiens. Ils anéantiraient l’Église, s’ils le pouvaient.
— Kjartan, certes, observai-je.
— Et je doute que ton oncle soit assez
puissant pour défaire Kjartan et Ivarr, même s’il était disposé à s’allier à
Guthred. Non, continua-t-il pensivement, la seule solution est que Guthred
fasse la paix avec les païens. Tel est le conseil que je lui fais porter, dit-il
pour Beocca.
— Sage conseil, seigneur, dit Beocca, ravi.
Dieu soit loué.
— Et puisque nous parlons de païens, me
demanda Alfred, que fera le comte Ragnar si je le libère ?
— Il ne combattra point pour Ivarr, répondis-je
d’un ton ferme.
— Peux-tu en être sûr ?
— Ragnar hait Kjartan. Et si Kjartan s’allie
à Ivarr, Ragnar les haïra tous les deux. Oui, seigneur, je puis en être sûr.
— Donc, si je le libère et l’autorise à
aller dans le Nord avec toi, il ne se retournera pas contre Guthred ?
— Il combattra Kjartan… mais ce qu’il
pensera de Guthred, je l’ignore.
— S’il s’oppose à Kjartan, fit Alfred
après un moment de réflexion, cela suffira. Votre ambassade, mon père, continua-t-il
pour Beocca, doit prêcher la paix à Guthred. Vous lui conseillerez d’être un
Dane parmi les Danes et un chrétien parmi les Saxons.
— Bien,
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