Les Seigneurs du Nord
seigneur.
— Notre temps doit être convenablement
occupé, et pour cela nous devons savoir combien il nous en reste.
— Si fait, seigneur, répondis-je sans
chercher à dissimuler mon ennui.
Alfred soupira, puis il tira de la pile un
parchemin marqué d’un énorme sceau de cire d’un vert sale.
— Ceci est un message du roi Guthred. Il
me demande mon conseil et j’ai dans l’idée de lui répondre. Pour cela, j’envoie
une ambassade à Eoferwic. Le père Beocca a accepté de parler en mon nom.
— C’est un privilège, seigneur, remercia
Beocca, un grand privilège que vous m’octroyez.
— Et le père Beocca, continua Alfred, apportera
au roi Guthred de précieux présents qui doivent être protégés, donc escortés de
guerriers. J’ai pensé que tu assurerais cette protection, seigneur Uhtred, ainsi
que Steapa.
— Oui, seigneur, répondis-je avec plus d’enthousiasme,
car je rêvais de voir Gisela, qui se trouvait à Eoferwic.
— Mais tu dois comprendre que c’est le
père Beocca qui commandera. Il est mon ambassadeur et tu suivras ses ordres.
— Si fait, seigneur, dis-je.
En vérité, je n’avais pas besoin de suivre les
instructions d’Alfred. Comme j’avais justement envie d’aller là où il me demandait,
je me gardai de lui rappeler que j’étais délié de mon serment et que je n’étais
pas un Saxon de l’Ouest.
Il n’eut pas besoin que je le lui rappelle.
— Tous trois, vous reviendrez avant la
Noël pour me rendre compte de votre ambassade. Et si tu ne jures point, précisa-t-il
à mon intention, que tu es mon homme lige et que tu reviendras, je ne te
laisserai point partir.
— Désirez-vous que je prête serment ?
— J’y tiens, seigneur Uhtred.
J’hésitai. Je n’avais point envie d’être de
nouveau son homme lige, mais je sentis que cette prétendue ambassade
dissimulait bien plus que de simples conseils. Si Alfred avait envie d’en
donner à Guthred, pourquoi ne pas lui écrire ? Ou envoyer une
demi-douzaine de prêtres lui rebattre les oreilles ? Mais c’était Steapa
et moi qu’Alfred envoyait, nous qui n’étions bons qu’à une chose : la
bataille. Et Beocca, sans conteste un brave homme, n’était guère impressionnant
comme ambassadeur. Alfred voulait que Steapa et moi allions dans le Nord, que
des violences soient commises. C’était encourageant, j’hésitai néanmoins et
cela l’agaça.
— Dois-je te rappeler, demanda-t-il
sèchement, que je me suis donné grande peine pour te libérer de l’esclavage ?
— Pourquoi l’avez-vous fait, seigneur ?
Beocca s’irrita que je n’aie pas immédiatement
cédé au désir du roi et Alfred eut l’air offensé, mais il jugea que ma question
méritait réponse. Il intima le silence à Beocca, tripota un instant le sceau de
la lettre de Guthred :
— L’abbesse Hildegyth m’en a convaincu, dit-il
enfin. (J’attendis. Alfred vit que je ne me contenterais pas de cette
explication. Il haussa les épaules.) Et il m’a paru, acheva-t-il avec gêne, que
je te devais davantage pour les services que tu m’as rendus à Æthelingæg.
Ce n’était pas vraiment une excuse, mais il
reconnaissait que cinq peaux de terre étaient fort peu cher payer pour un
royaume. Je m’inclinai.
— Je vous remercie, seigneur, dis-je, et
je vous prêterai serment. (Je ne voulais point lui donner ma parole, mais quel
choix avais-je ? C’est ainsi que se décident nos vies. Pendant des années,
j’avais oscillé entre mon amour des Danes et la fidélité aux Saxons et là, à la
lueur des cierges, je cédai mes services à un roi que je n’aimais point.) Mais
j’aimerais savoir, seigneur, pourquoi Guthred a besoin de conseils ?
— Parce que Ivarr Ivarson le harcèle, car
il aimerait avoir sur le trône de Northumbrie un homme plus complaisant.
— Ou s’y asseoir lui-même ?
— Ivarr, je crois, ne veut pas des
lourdes responsabilités de la royauté. Il veut le pouvoir, l’argent, des guerriers,
mais qu’il incombe à un autre de faire respecter la loi et lever les impôts sur
les Saxons. Et il choisit pour cela un Saxon. (C’était logique, car c’est ainsi
que les Danes gouvernaient ceux qu’ils conquéraient.) Et Ivarr ne veut plus de
Guthred.
— Pourquoi, seigneur ?
— Parce que le roi Guthred tente d’imposer
sa loi sur les Danes comme sur les Saxons.
Je me rappelai que Guthred espérait se montrer
un roi juste.
— Est-ce mal ?
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