Les Seigneurs du Nord
supporte point. C’est cet idiot qui a convaincu Guthred d’imposer
la dîme aux Danes. J’ai dit au roi que c’était folie, mais Hrothweard
prétendant être inspiré par saint Cuthbert, j’ai parlé en pure perte. À présent,
les Danes doivent rassembler leurs forces et la guerre menace sûrement.
— La guerre ? Guthred a déclaré la
guerre aux Danes ?
Cela semblait improbable.
— Bien sûr que non ! mais ils
doivent l’empêcher… fit Wulfhere en s’essuyant la barbe avec sa manche.
— L’empêcher de quoi ? demanda
Ragnar.
— D’atteindre Bebbanburg, bien sûr !
Le jour où Guthred livrera sa sœur et saint Cuthbert à Bebbanburg, Ælfric lui
accordera deux cents lances. Les Danes ne le toléreront point ! Ils se
sont plus ou moins accommodés de Guthred, mais seulement parce qu’il est trop
faible pour les contraindre. S’il obtient des hommes aguerris d’Ælfric, les
Danes l’écraseront comme un pou. Je pense qu’Ivarr rassemble déjà ses troupes
pour mettre fin à ces sottises.
— Ils ont emmené le très saint Cuthbert
avec eux ? demanda Beocca.
— Vous êtes un curieux ambassadeur, observa
Wulfhere.
— Curieux ?
— Vous ne voyez donc rien ? Alfred
doit être à court d’hommes s’il envoie un laideron tel que vous. Il y avait à
Bebbanburg un prêtre qui louchait. Il y a longtemps, du temps de l’ancien
seigneur Uhtred.
— C’était moi, s’empressa de déclarer
Beocca.
— Ne soyez pas stupide, bien sûr que ce n’était
pas vous. Celui dont je parle était jeune et rouquin. Emporte toutes les
chaises, imbécile ! cria-t-il à son serviteur. Les six. Et apporte-moi d’autre
pain.
Wulfhere avait pour projet de fuir avant qu’éclate
la guerre entre Guthred et les Danes, et sa cour était remplie de chariots, bœufs
et chevaux, car les trésors de sa grande église devaient être emballés pour
être emportés en sûreté.
— Le roi Guthred a pris saint Cuthbert
parce que c’est le prix demandé par Ælfric. Il veut un cadavre et un ventre. J’espère
qu’il se rappellera lequel il doit trousser.
Je me rendis compte que mon oncle asseyait son
pouvoir. Guthred était faible, mais il possédait la précieuse dépouille de
Cuthbert. Si Ælfric pouvait s’en emparer, il deviendrait le gardien de tous les
chrétiens de Northumbrie. Il s’enrichirait de plus des dons des pèlerins.
— Il est en train de rebâtir la Bernicie.
Il se fera appeler roi avant longtemps.
Wulfhere me regarda comme si j’étais moins
crétin qu’il l’imaginait.
— Tu as raison, dit-il, et ses deux cents
lanciers resteront avec Guthred pendant un mois, pas plus. Ensuite, ils
rentreront et les Danes ne feront qu’une bouchée de Guthred. Je l’ai prévenu !
Je lui ai dit qu’un saint valait bien plus que deux cents lances, mais il est
désespéré. Et si vous le voulez voir, partez au Nord. (Il nous avait reçus parce
que nous étions les ambassadeurs d’Alfred, mais il ne nous avait offert ni gîte
ni couvert et était pressé de nous mettre dehors le plus aimablement possible.)
Allez dans le Nord, et vous trouverez peut-être ce sot en vie.
Nous retournâmes à la taverne où Steapa et
Brida nous attendaient et je maudis les trois fileuses qui m’avaient fait
miroiter Gisela avant de me la ravir. Elle était partie depuis quatre jours, soit
plus qu’assez pour atteindre Bebbanburg, et la tentative désespérée d’alliance
de son frère avait dû soulever les Danes. Je ne craignais pas leur colère, cela
dit. Je ne pensais qu’à Gisela.
— Nous devons aller dans le Nord, dit
Beocca, et trouver le roi.
— Vous mettez le pied dans Bebbanburg, lui
dis-je, et Ælfric vous tuera.
Beocca, en fuyant la forteresse, avait emporté
tous les parchemins prouvant que j’en étais le légitime seigneur, et pour cela Ælfric
lui en voulait.
— Il ne tuera point un prêtre, protesta
Beocca, s’il tient à son âme. Et je suis ambassadeur. Il ne peut tuer un ambassadeur !
— Tant qu’il est en sûreté dans
Bebbanburg, intervint Ragnar, il peut faire ce qui lui chante.
— Peut-être que Guthred n’a pas atteint
Bebbanburg, dit Steapa. (Je fus si surpris qu’il ait ouvert la bouche que je ne
lui prêtai pas vraiment attention. Personne d’autre non plus, d’ailleurs.) S’ils
ne veulent pas que la fille soit mariée, continua-t-il, ils l’arrêteront.
— Ils ? demanda Ragnar.
— Les Danes, seigneur.
— Et Guthred voyage
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