Les Seigneurs du Nord
lentement, ajouta
Brida.
— Vraiment ? demandai-je.
— Tu as dit qu’il avait emporté la
dépouille de Cuthbert.
L’espoir s’éveilla en moi. Steapa et Brida
avaient raison. Guthred voulait peut-être atteindre Bebbanburg, mais il ne
pouvait voyager bien vite avec un tel bagage. Et les Danes allaient tenter de l’arrêter.
— Il pourrait bien être mort à l’heure qu’il
est, dis-je.
— Il n’y a qu’un moyen de le savoir, dit
Ragnar.
Nous nous mîmes en route le lendemain à l’aube,
par la voie romaine, et nous
chevauchâmes au plus vite. Jusque-là nous avions ménagé les chevaux d’Alfred, mais
à présent nous les éperonnions, même si Beocca continuait de nous ralentir. Vers
la fin de la matinée, la pluie recommença à tomber. Doucement, puis assez
violente pour rendre le sol dangereux. Le vent se leva contre nous. Au loin, le
tonnerre grondait. Nous étions éclaboussés de boue, glacés et trempés. Les
arbres s’agitaient et perdaient leurs dernières feuilles dans la bise. C’était
une journée à rester auprès d’un feu.
Nous trouvâmes les premiers corps le long de
la voie. Deux hommes dépouillés de leurs vêtements, leurs blessures lavées par
la pluie. L’un avait une faux brisée. Nous en trouvâmes trois autres un quart
de lieue plus loin, avec des croix au cou indiquant qu’ils étaient saxons. Beocca
se signa devant eux. Alors que la foudre illuminait les collines, Ragnar tendit
le bras et je vis un village dans la pluie : quelques maisons basses, une
église et un château derrière une palissade de bois.
Une vingtaine de chevaux y étaient attachés et,
alors que nous surgissions de l’orage, une douzaine d’hommes en armes surgirent,
enfourchèrent leurs montures et galopèrent vers nous. Ils ralentirent en voyant
nos bracelets.
— Êtes-vous danes ? leur cria Ragnar.
— Nous le sommes ! dirent-ils en
baissant leurs armes et en tournant bride pour nous escorter. Avez-vous vu des
Saxons ? demanda l’un d’eux.
— Seulement des morts.
Nous abritâmes les chevaux dans l’une des
maisons. La famille saxonne qui y habitait se recroquevilla en nous voyant. La
femme gémit et nous supplia.
— Ma fille est malade, dit-elle.
Elle frissonnait, allongée dans un coin. Elle
avait l’air moins malade que terrifiée.
— Quel âge a-t-elle ? demandai-je.
— Onze années, seigneur, je crois, répondit
la mère.
— Elle a été violée ?
— Par quatre hommes, seigneur.
— Elle est en sécurité, à présent.
Je lui donnai quelques pièces pour la
dédommager, laissai les serviteurs d’Alfred et de Ragnar garder les chevaux, puis
je rejoignis les Danes dans le grand château où ronronnait un feu. Ils s’écartèrent
pour nous laisser de la place autour de l’âtre, un peu perplexes que nous
voyagions avec un prêtre chrétien. Ils dévisagèrent Beocca, mais Ragnar était
si clairement un Dane que personne ne dit rien. Ses bracelets comme les miens
indiquaient que nous étions de haut rang. Leur chef dut être impressionné, car
il s’inclina à demi devant Ragnar.
— Je suis Hakon d’Onhripum, dit-il.
— Ragnar Ragnarson, dit Ragnar avant de
nous présenter. Et voici ma femme, Brida.
Hakon avait entendu parler de Ragnar ; ce
n’était guère étonnant, car ce nom était fameux dans les collines de l’ouest d’Onhripum.
— Tu étais otage au Wessex, seigneur ?
— Je ne le suis plus, éluda Ragnar.
— Bienvenue, seigneur.
On nous apporta de l’ale, du pain, du fromage
et des pommes.
— Les morts que nous avons vus sur la
route, demanda Ragnar, était-ce votre œuvre ?
— Des Saxons, seigneur. Nous devons les
empêcher de se rassembler.
— Tu n’y as pas manqué avec ceux-là, observa
Ragnar, ce qui fit sourire Hakon. Sur les ordres de qui ?
— Du comte Ivarr, seigneur. Il nous a
mandés. Et si nous trouvons des Saxons en armes, nous les devons tuer.
— C’est un Saxon et il est armé, fit
malicieusement Ragnar en désignant Steapa.
Les Danes considérèrent l’énorme et menaçant
Steapa.
— Il est avec toi, seigneur, dit Hakon.
— Alors, pourquoi Ivarr vous a-t-il
mandés ? demanda Ragnar.
C’est ainsi que nous apprîmes le fin mot de l’histoire,
ou du moins ce qu’en savait Hakon. Guthred avait pris cette route vers le Nord,
mais Kjartan avait envoyé des hommes lui barrer le chemin.
— Guthred n’a pas plus de cent cinquante
lanciers, dit Hakon, et Kjartan lui en
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