Les sorciers du ciel
nouveau « couché ». Je tombe simplement à quatre pattes pour repartir plus vite. Coups de bottes dans les fesses, coups de schlague sur les bras m’allongent brutalement par terre. Pour que nous collions mieux au sol, ils nous cinglent les épaules, nous appuient leurs pieds sur les reins. « Debout », trois mètres, « couché ». Je me plaque haletant au sol, sans souci de m’écorcher les mains sur le mâchefer, de me meurtrir un peu plus les côtes. « Debout », mes bras qui viennent d’amortir ma chute doivent me projeter en avant, en départ de course. Je ne me suis pas encore redressé complètement que déjà un « couché » me fait m’écrouler avec les autres sur le sol, jambes coupées, reins cassés…
— « Debout ! » « Couché ! » « Debout ! » « Couché ! » C’est presque sur place que nous nous relevons pour nous effondrer sur-le-champ, sans avoir la force de faire un bond en avant. « Debout ! » « Couché ! » « Debout ! » « Couché ! » Les commandements vont si vite que le cerveau abruti ne les suit plus. Certains sont debout quand il faut être couché, se couchent quand il faut se lever. Les matraqueurs s’en donnent à cœur joie. Drokur, content du travail, affiche un masque hilare devant cette pagaïe d’animaux affolés qui ne comprennent pas davantage les coups que les ordres.
— Drokur, satisfait, veut bien nous accorder une autre distraction : tour de bassin à quatre pattes. Pour nous, rompus, essoufflés, la tête vide et bourdonnante, bien incapables d’un équilibre sur nos pattes arrière, la quadrupédie a du bon…
— Midi a enfin arrêté notre ronde. Dans la chambre, nous groupons nos silences. Nous n’avons rien à nous dire que nous ne connaissions déjà, l’ayant éprouvé ensemble, le redoutant ensemble. Chacun calcule intérieurement les heures de supplice qui nous restent encore à passer, avant l’arrêt du soir.
— Sifflet. C’est la soupe. Nous nous précipitons avec moins de vigueur que d’ordinaire ; nous aspirons autant au repos qu’à une vague nourriture. Les bidons ne sont pas encore là mais Baron, un de nos S.S., est au milieu de la cour avec la cohorte complète des matraqueurs. Par un discours énergique, traduit au fur et à mesure par François, il nous rappelle les fautes dans lesquelles sans cesse nous retombons ; notre désordre et notre indiscipline. Malgré sa grande patience et une mansuétude qui n’a que trop duré, il est contraint de montrer plus d’exigence ; un peu de bonne volonté de notre part lui permettra de reprendre bientôt, il l’espère, la politique de douceur qui sera toujours sa préférée. Après un si beau « hors-d’œuvre », quel est le dessert qui nous est réservé ? Pour l’instant, il s’agit seulement de recommencer le rassemblement.
— Sifflet. Les matraqueurs foncent déjà pour activer notre course ; nous nous engouffrons en bloc dans nos chambres. La rentrée ne peut être assez rapide pour que tous échappent aux poursuivants. Sous les coups qui pleuvent, chacun pousse, essayant avec son coude de passer devant son voisin pour s’en faire un bouclier. Nous retrouvons un peu d’humanité, en même temps que nos esprits, dans le calme de la chambrée. Nous sommes toujours tentés de croire qu’en allant plus vite nous parviendrons à « les » satisfaire. Illusion pourtant perdue depuis longtemps. Sifflet. Affolement et ruée ; on s’écrase pour sortir plus vite. À la porte, j’hésite… La poussée est irrésistible. Je passe en trombe, courbant le dos. Embusqués, deux matraqueurs attendent ; leurs instruments maniés sans relâche, nous meurtrissent à travers nos vêtements et cinglent la peau jusqu’au sang. Cela dure dix secondes.
— Et la plaisanterie se répète ; retour dans les chambrées, puis sortie, cinq ou six fois peut-être… Une peur physique prend au ventre. S’offrir aux coups une première fois est relativement facile quand on ne fait que les imaginer, mais y retourner avec le souvenir et la sensation encore présente de la souffrance éprouvée paraît un affreux cauchemar. Cependant, nous allons de l’avant… Il suffit de mater son corps. Baissant un peu la tête quand une cravache se lève, mais sans bousculade ni précipitation excessive, j’accepte le jeu et je prends mon tour. Je n’en suis plus à un coup près.
— Les bidons viennent
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