Les sorciers du ciel
voudrais que le premier article fût fait par M. Gauthier (54) . »
— Vers janvier 1945, les bombardements et la nouvelle offensive russe nous firent prendre de nouvelles mesures préventives, principalement dans le domaine de la lutte armée que nous envisagions. Les projets discutés en Comité international furent mis en application. Le Révérend Père Jacques fut entièrement d’accord avec toutes les mesures prises et m’ajouta : « Dorénavant, pour tout ce qui est lutte armée ou organisation militaire, je te demande de prendre, à ma place, toutes les décisions que vous, communistes, jugerez nécessaires. Vous devez bien comprendre que pour un prêtre, il est dur de parler de ces choses, mais que, par contre, celles-ci sont indispensables et je suis sûr que vous agirez au mieux et dans l’intérêt de tous. » Cette amitié commune ne cessa de se resserrer.
*
— Aussitôt (55) son arrivée, les Polonais ont offert au père Jacques l’imitation de Jésus-Christ, un missel délavé, et même un bréviaire en deux parties. Nous cachions tout cela à l’intérieur de notre paillasse… Aussitôt que le père Jacques était habillé, il prenait son Invitation ou son bréviaire et se recueillait jusqu’au moment où on nous disait de descendre pour nous mettre en rangs, dans la cour.
— Il confessait tellement qu’il prenait même sur le peu de repos qu’il pouvait avoir après douze heures de travail et le consacrait entièrement aux confessions, le soir et le matin. Souvent, le matin, s’il y avait des personnes qui lui avaient donné rendez-vous, au lieu de lire son bréviaire ou de faire sa méditation, aussitôt qu’il avait bu son « café » et s’était habillé, il était à leur disposition avant de partir à l’usine. Comme il y avait une demi-heure de battement et que c’était moi qui faisais le lit, le père Jacques était libre alors. On peut dire qu’il n’a pris aucun moment de loisir vraiment à lui. Il allait à des réunions avec le groupe de séminaristes qui se trouvaient à l’intérieur du camp, il confessait, il allait dans certains blocks où se formaient le soir des cours de catéchisme et faisait des conférences sur le clergé en France, sur les réformes qu’il y aurait à faire puis, répondait à différentes questions que les communistes lui posaient. Il leur expliquait le but de la vie monastique. Il s’était entièrement rendu à leurs désirs et allait même faire au sein des groupements communistes de petites conférences. Aussitôt après ces conférences, il se prêtait à des interrogations auxquelles il répondait en toute camaraderie, comme il l’aurait fait avec des groupements catholiques. Il s’était acquis une grande considération dans les milieux communistes au point que certains catholiques polonais disaient : « Mais le père Jacques est communiste, il va à des réunions communistes, etc… » À quoi le père Jacques avait répondu à un Polonais : « La parole de l’Évangile n’est pas pour ceux qui sont déjà dans la maison, mais pour ceux qu’il faut ramener de l’extérieur. » Le père Jacques a eu aussi au cours de son ministère l’occasion de recevoir une abjuration et c’est lui qui a conduit à la foi, ou tout au moins aux sacrements, une personnalité parisienne qui a fait sa première confession et sa première communion là-bas, au camp.
— Peu à peu (56) son prestige s’impose dans le camp. Il en devient l’une des personnalités respectées, dont le rôle sur le double plan moral et matériel sera essentiel pour la communauté française. L’hiver, que de problèmes se posent à lui ! Que de désirs, que de malheurs, que d’appréhensions ! Il s’agit de se servir des relations nouées avec les Polonais, maîtres effectifs du camp, qui ont recours souvent au ministère du père Jacques. Très dignement, il fait auprès d’eux son devoir de prêtre, parce qu’il le doit, et d’eux, en outre, il tire pour les siens, pour les Français, des faveurs qu’il répand, qu’il distribue : une veste meilleure pour l’un, une paire de bons souliers pour un autre, une soupe supplémentaire ou un morceau de pain pour celui-là. Mais il doit se méfier et cela n’est pas dans sa nature toute faite d’élan, de confiance, de désintéressement : c’est au prêtre que les Polonais jouissant dans le camp d’une position élevée, font le don de quelque nourriture, et quand
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