Les sorciers du ciel
survie…
— Départ demain !
Le lieutenant Schmoll traverse la cour. Le père Jacques accélère le pas :
— Monsieur le Commandant, je voudrais rester à Neue-Brem, les malades…
Le lieutenant l’interrompt :
— Je n’ai pas le pouvoir de modifier une liste de départ établie par la Gestapo de Paris.
CHAPITRE IV
LE PÈRE JACQUES À GUSEN
Henri Boussel, comme chaque soir au retour des Kommandos, rend visite à son ami polonais Valentin Pienka, dans le bureau de la « répartition du travail ».
— Henri, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer : il y a un convoi d’une vingtaine de Français qui est arrivé, parmi eux se trouve un prêtre.
— Tu as son nom ?
Pienka feuillette son livre noir :
— Voilà : Bunel, Bunel Lucien… Tu n’as qu’à aller le chercher et nous allons nous occuper de lui.
Boussel se rend au block 17, souhaite la « bienvenue » au père Jacques et, une heure plus tard, lui apporte une tranche de pain et un cube minuscule de margarine. Cet accueil, si inhabituel dans un camp de concentration, remplit de joie le père Jacques. Le mois suivant, il avoue à Henri Boussel :
— Je me rappelle très bien que le jour où vous êtes venu me saluer, le soir de mon arrivée, j’ai retrouvé en vous exactement la réponse à la prière que j’avais faite à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus lorsque je suis arrivé au camp en lui disant : « Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus je viens dans ce camp, je vous laisse toute liberté pour la façon dont je vais être reçu, mais je voudrais bien avoir un signe de votre réception, de votre protection. »
*
Boussel, Pienka, luttent pendant trois semaines pour arracher le père Jacques au Kommando qui construit des réservoirs d’eau et où il s’épuise. Ils réussissent enfin à le faire affecter à l’usine Steyr :
— La première (50) fois que je vis le père Jacques, c’était un soir d’été 1944, juin ou juillet je crois. C’était Cayrol qui me le présenta. La douceur de son visage, pourtant mal rasé, la profondeur de ses yeux ne me frappèrent pas moins que cette phrase qu’il adressa à Cayrol : « Enfin, je vois qu’il y a ici pas mal de gens avec qui l’on pourra faire quelque chose d’intéressant. » Je me demandais ce que ce brave directeur d’école voulait bien faire d’intéressant ici ! D’autant plus que s’il travaillait à la carrière, il aurait déjà assez de mal à essayer de sauver sa peau ! Quelques jours après, je vis arriver le père Jacques au End Kontrol (contrôle final) où je travaillais déjà depuis six mois ; je fus heureux de le voir affecté à ce travail qui ne nécessitait pas beaucoup d’effort et qui laissait assez de loisir pour la conversation : le travail consistait à contrôler assis pendant douze heures, cinq cents ou six cents pièces de fusil, au moyen de quatre ou cinq calibres ; l’absence de Kapo permanent, de machines bruyantes, la température relativement agréable, même l’hiver, la possibilité de se tenir propre, permettaient le calme de l’esprit, la méditation, et avec un peu d’attention, de longues conversations… J’aimais être à côté de lui, parce qu’il forçait, par son attitude, à rester calme ; quand on discutait avec lui, on avait l’impression de ne plus être au camp. Il ne s’est certainement pas passé un jour, durant les dix ou onze mois que nous avons vécu ensemble au contrôle, où je ne sois allé m’asseoir près de lui, parfois pendant une heure. Dès que j’arrivais, il souriait et entrait de suite dans le vif d’un sujet qui le passionnait et auquel, sans doute, il était en train de penser : « Louis, connais-tu la forêt de Fontainebleau ? Que penses-tu de la forme d’esprit que donne l’enseignement secondaire en France ? » Il s’étonnait de me voir ignorer Gide, « un mystique qui cherche sa voie » disait-il, et tandis que je gardais un calibre en main pour me donner une contenance, il m’exposait longuement, tout en contrôlant les pièces, ses théories sur l’enseignement, sur l’éducation morale des enfants. Un point sur lequel nous ne nous entendions pas toujours, c’était… les nouvelles. Le père Jacques était optimiste, trop optimiste ; il aurait volontiers accepté comme « officielle » une rumeur qui faisait faire un bond de cinquante kilomètres aux Alliés en une journée. Sans être
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