Les sorciers du ciel
La douche dura vingt minutes environ. On fit sortir les déportés ruisselants : ils furent saisis par le froid, l’eau gelait sur eux ; beaucoup tombèrent sur l’escalier, morts. Les autres furent emmenés près du mirador. Ils étaient peut-être encore deux cents à deux cent cinquante… Vers 2 heures du matin, on les ramena aux douches et la même scène recommença : eau glacée pendant vingt minutes, sortie dans le froid, morts tombant dans l’escalier… Encore une fois, ils furent ramenés près du mirador. Étaient-ils deux cents, cent quatre vingts ?… c’étaient les plus résistants, évidemment, et on en vit moins tomber, brusquement, de froid. Parmi les survivants, se trouvaient de Dionne, l’abbé Vallée et Le Durgeon.
— Le jour se leva (17 février), alors arrivèrent trois S.S., grands, forts, munis d’énormes gourdins, gros comme le bras et très longs. Ils séparèrent en deux le groupe des survivants, dix mètres l’un de l’autre. Ils ordonnèrent aux détenus de se mettre à courir au coup de sifflet, d’un mur à l’autre, en se croisant au milieu. Ils se placèrent entre les deux groupes. Quand les détenus, en courant, passaient près d’eux, ils les frappaient à la tête à coups de gourdin. À chaque passage, plusieurs morts tombaient. De temps en temps, ils arrêtaient la course pour permettre à une charrette, poussée par un Kommando de prisonniers allemands, de transporter les morts au crématorium.
— À l’un de ces arrêts, les trois S.S. partirent puis revinrent avec des haches : ils recommencèrent à donner des coups de sifflet et à faire courir les détenus : ils attaquaient à la tête, arrachant tantôt la tête, tantôt la moitié de la tête des détenus qui faisaient encore quelques pas en hurlant et tombaient. Le nombre de morts augmentait considérablement. Il était évident que les S.S. étaient décidés à exterminer le groupe entier. Déjà de Dionne avait proposé de sauter sur les S.S., de les tuer, de les désarmer : on n’aurait pas ainsi sauvé sa vie, on aurait au moins eu la satisfaction de combattre et de supprimer ces brutes. Mais la majorité des autres détenus avait refusé.
De Dionne veut en finir… Une charrette, après chaque chassé-croisé, charge les cadavres destinés au crématoire. De Dionne s’allonge… des cris, de longues minutes d’attente, on le soulève enfin. Entre le Revier et le crématoire : le tas de suppliciés.
— Déchargez !
De Dionne se lève, marche, court… un S.S. le regarde en riant.
— Sauve-toi vite !
Une heure auparavant, l’abbé Vallée avait lui aussi « joué le mort » et gagné la vie… la vie… pour quelques jours de plus. Il mourut au Revier le Vendredi-Saint.
CHAPITRE IX
LE RENDEZ-VOUS DES « MAGES »
Le 6 août 1943, sur la place d’appel d’Oranienburg, le commandant S.S. fait traduire en plusieurs langues un bien étrange message :
— Le Reichsführer S.S. et chef de la police allemande réclame pour une mission de confiance et d’une grande importance pour la sécurité du Reich des spécialistes de l’occultisme, de la chiromancie, de la radiesthésie. Toutes les personnes ayant des connaissances dans ces domaines, qu’elles soient professionnelles ou amateurs, devront se présenter ce soir à leur chef de block. Si la volonté de participer se montre sincère, elles pourront envisager un régime meilleur, et même leur libération (98) .
De nombreux déportés haussent les épaules :
— Ils sont tombés bien bas… Ils recherchent la route de la victoire.
— Non ! Ils veulent former un nouveau block chargé d’établir les horoscopes de tous les combattants.
— T’es sûr !
— Puisque je te le dis… Je suis bien informé, non ?
D’autres s’étonnent.
— Il doit s’agir de quelque chose de très important… vous avez noté les termes de cette communication ? On demande la « participation »… C’est inhabituel, unique. De quoi peut-il être bien question ?
— Demandé-le à un « pendulard » !
La confirmation du « sérieux » de l’affaire est apportée par les différents chefs de blocks qui lancent cet avertissement à leurs administrés :
— Charlatans s’abstenir ! Méfiez-vous des fausses indications professionnelles. Ça vous coûterait cher !
*
Oranienburg, le camp des camps, « propriété » d’Himmler, abrite deux centaines de
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