Les sorciers du ciel
déportés.
— Cinq fois, au moins, par son apostolat, l’eau régénératrice rendra Enfants de Dieu des esclaves des S.S. Le block 113 lui doit d’avoir été le théâtre de deux de ces cérémonies clandestines… Dans la salle commune de l’aile du « schreiber », les conversations vont bon train ; ici, la philosophie est à l’honneur ; et là règne la poésie en souveraine incontestée ; à la table du pasteur Heuzé, la Sainte Écriture se commente dans la Bible de Jean-Paul, dont prêtre et pasteur se servent fraternellement tour à tour ; à celle des « Allemands » la situation militaire fait l’objet d’une critique serrée ; près de la porte du vestibule un petit groupe compact : des camarades entourent étroitement l’un d’eux assis sur un tabouret. Jean Ficheux ferme les yeux :
— Crois-tu en Dieu, Père, Fils, Saint-Esprit ?
— Oui.
— Veux-tu être baptisé ?
— Oui.
La tête du néophyte s’incline, penchée sur l’épaule droite. D’un gobelet en émail rouge foncé, l’eau coule sur le front tandis que sont murmurées les paroles sacramentelles :
— Marc, je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Le brouhaha se poursuit.
Qui dit baptême, dit première communion.
— Il est (143) bien curieux le spectacle qu’offre le block 9, au cours de l’après-midi du 25 décembre 1944. Le milieu de la salle commune, côté aile chef de block, est libéré de ses tables, rejetées le long du mur. Une énorme couronne, ayant apparence de couronne mortuaire, faite de branches de sapin entrelacées, est suspendue tant bien que mal autour de la poutre centrale. Des rubans blancs l’entourent. Sur les parois de la pièce courent aussi des branches sur lesquelles une guirlande de laine de verre jette une note de clarté. Aux tables, les habitants ordinaires du block jouent aux cartes (strictement défendu). Au centre, sous la couronne, sept hommes se serrent coude à coude. L’un d’entre eux parle : – « Tandis que nos bien-aimés sont anxieux à notre sujet, réjouissons-nous quand même. Marcel, que voici (grand gars de vingt ans), va recevoir pour la première fois Jésus en son âme. En vérité, les barbelés ne peuvent rien contre Dieu et nous dirons tous dans un instant, comme saint Paul : ce n’est plus moi qui vis, le Christ vit en moi. » – Très simplement, le geste que nous connaissons va se renouveler, comme dans une poignée de main, Marcel et Pierre, et Roger et Albert et Jean et Jacques vont prendre Jésus : ce Jésus de la crèche, des routes de Palestine, de la Croix et de la Résurrection.
*
Le 4 novembre 1944, à minuit, des S.S. en armes pénètrent dans plusieurs blocks. Frère Birin et sept autres Français sont arrêtés. Coups, tortures, transfert à la prison civile de Nordhausen. Tortures… en une seule journée M. Debeaumarché reçoit trois cents coups de nerf de bœuf, Claude Lauth cent cinquante. Frère Birin, « chef des révoltés français » est ramené à Dora, enfermé dans le bunker :
— Il n’y avait (144) aucune comparaison entre la prison de Nordhausen et celle du camp. Les nombreuses arrestations russes avaient surpeuplé les cellules. Celles-ci mesuraient 1,70 mètre sur 2,50 mètres et n’avaient comme ouverture qu’une étroite lucarne à gros barreaux. Nous étions dix-sept à vingt-trois détenus par cellule ; il était impossible de s’étendre ou de s’asseoir, sinon les uns sur les autres. Les interrogatoires avaient lieu parfois le jour, mais de préférence au cours de la nuit. Quelles scènes horribles j’y ai vues et vécues ! Des nuits entières, j’entendais crier, hurler et gémir. Les S.S. se mettaient souvent à trois pour frapper sur le même malheureux qui refusait de parler. Quand, sous la violence des coups, il s’évanouissait, les S.S. le traînaient sous la douche froide et reprenaient de plus belle leurs flagellations.
— Vint mon tour. Les motifs d’accusation ne manquèrent pas. Camarades planqués, numéros faussés, mouvement de résistance organisé dans le camp, lettre non censurée à un camarade de Harzungen, Pierre Pointe d’Épernay. Pour comble de malheur, mon dossier de Châlons était venu me retrouver avec des accusations inédites. Tout cela me valut des heures d’interrogatoire avec tout ce qu’elles comportent. Que les camarades auxquels j’ai rendu service reçoivent, ici,
Weitere Kostenlose Bücher