Les sorciers du ciel
l’assurance que jamais le moindre aveu ne m’a échappé. Décrire ces cinq mois de bunker, les plus durs, les plus angoissants de toute ma captivité, il m’est impossible de le faire. Je n’en donnerai qu’un court aperçu.
— Le régime alimentaire comportait invariablement un litre de soupe et cent grammes de pain, distribués à 6 heures du matin. Deux fois par jour, nous avions une sortie pour satisfaire aux besoins naturels et faire un soupçon de toilette. À la sortie de la cellule, afin de hâter le mouvement, un S.S. distribuait des coups de cravache en cadence ; il nous fallait filer ensuite entre deux autres S.S. tenant chacun un chien en laisse, tandis qu’un quatrième S.S. accélérait l’entrée du troupeau dans le petit lavabo. Ce lavabo comportait deux sièges de W.C. et deux robinets pour un effectif de dix-sept à vingt-trois hommes. Nous ne disposions que de deux minutes pour faire notre toilette. Il fallut nous numéroter afin que chacun puisse tous les quatre ou cinq jours soulager ses intestins atteints de dysenterie. Puis c’était le retour à la cellule avec le même « cérémonial frappant » qu’à l’aller. De temps en temps, deux ou trois S.S. ouvraient une cellule au hasard et faisaient sortir un quelconque détenu pour lui administrer vingt-cinq coups, uniquement pour s’amuser. L’odeur nauséabonde qui s’échappait de notre tas grouillant de corps malpropres incommodait parfois ces messieurs. On nous faisait alors aligner dans le couloir pour une inspection des pantalons et on entendait cette réflexion : – « Toi tu seras à la diète pendant quatre jours, comme cela tu n’auras pas… d’ennuis… » Un de mes compagnons de cellule, au retour d’un interrogatoire où il fut frappé sauvagement, délirait sous l’atteinte d’une forte fièvre. Le S.S. de surveillance dans le couloir ouvrit la cellule et demanda qui avait causé. Je lui répondis qu’il s’agissait d’un malade. Un regard féroce accompagna cette remarque : « – Si j’entends la moindre chose, je le guérirai à ma façon… » La cellule à peine refermée, le malade reparla ; quelques instants après, le S.S. ouvrit brusquement la porte et, d’un coup de barre de fer, fendit la tête au malheureux. Le cadavre resta sous nous durant trois jours.
— Au cours de ces cinq mois, nous subîmes des tortures de tous genres. Il y eut plus de deux cent quatre-vingts pendaisons. Les survivants étaient dans la continuelle appréhension d’être pris à leur tour. Nous avons vécu dans une atmosphère de cauchemars et d’angoisses impossible à décrire.
*
L’abbé Renard sort du tunnel après sa nuit de veille. Un S.S. inscrit le matricule sur le cahier de contrôle et brusquement :
— Pourquoi as-tu cette boîte sous le bras ?
— Pour mon pain (für mein brot).
— Donne-la.
— …
— Ach ! Une bible ! Et tu m’as dit que c’était pour ton pain.
Jouant avec les mots :
— Mais j’ai dit : livre et pain (Buch und brot).
— Tu crois encore au ciel toi ?
Le second S.S. intervient :
— Si ça lui fait plaisir à cet imbécile, il peut bien y croire.
Les deux. S.S. éclatent de rire.
— Allez, tiens ton livre et va-t’en !
*
À Wieda, l’abbé Amyot transporte à longueur de journée des rails de chemin de fer. Plaies ouvertes, infectées. Épaules voûtées, yeux brillants, visage vieilli. Corps sans muscles, sans chair.
Jules Haas lui tend un paquet :
— C’est de la farine.
— Et des raisins de Corinthe, tu as pu…
— Il n’y a pas de raisins.
Les hosties ont été préparées.
— Et le vin ?
L’abbé prend une aiguille, remonte sa manche. Dans le gobelet, une à une les gouttes de sang s’unissent à l’eau.
La semaine suivante :
— Amyot, mon père se meurt, il veut te voir.
Fernand Méchin, protestant, a la force de prononcer :
— Promets… m’enterrer… comme en France…
Gérald trace un signe de croix sur le front du déporté.
— Promets !
— Je… C’est promis.
Fernand Méchin, yeux ouverts, est mort. Peut-être sourit-il ?
— L’abbé (145) avoue, le soir à ses amis l’engagement qu’il a pris et leur demande conseil. Tous sont d’accord pour reconnaître qu’il s’est avancé imprudemment… Les jours passent et le corps se décompose. Le sixième jour, rien que pour être fidèle jusqu’au bout à la parole donnée –
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